Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il nous a montré le soldat, ses officiers, ses généraux dans toutes les attitudes, sous tous les aspects, et nous a fait comprendre tous les incidens de leur vie si glorieuse et si agitée. Cette donnée, spirituellement traduite dans ces étincelantes esquisses que la lithographie à sa naissance lui permettait de multiplier sans recourir à une main étrangère, avait déjà popularisé son nom à un âge où d’autres commencent à peine à tenir un crayon. Le développement de cette même idée a consolidé sa réputation et la rendra durable. M. Horace Vernet connaît sans aucun doute les moyens de son art, mais il ne s’est jamais bien sérieusement attaché à en approfondir les ressources. Il se sert de la palette comme un improvisateur de la langue, d’une manière facile et suffisante, sans effort, mais sans grand éclat. Nous doutons fort qu’il se soit jamais préoccupé de tel ou tel système d’empâtemens ou de glacis, de telles ou telles combinaisons de nuances, qui absorbent toutes les méditations des adeptes de l’art pour l’art. M. Horace Vernet nous semble toujours plus occupé de ce qu’il va dire que de la manière dont il le dira, et, comme ce qu’il dit est toujours intéressant, le succès ne lui fait jamais défaut.

Dans le tableau de la Prise de Rome, une des trois grandes compositions que cet artiste exécute en ce moment pour le musée de Versailles, nous le retrouvons tel que nous le connaissons. M. Horace Vernet a représenté le fait historique dans toute sa nudité, et cependant son tableau est un des plus dramatiques qu’il ait produits ; mais aussi le sujet de ce drame est la prise de Rome, et le lieu de la scène, ce bastion n° 8 si long-temps, si vivement disputé. Du point où l’artiste s’est placé, l’œil embrasse la campagne romaine arrosée par le Tibre et dominée à l’horizon par le Monte-Cavo. Une lueur livide est répandue sur tout le tableau. Ce n’est plus la nuit, ce n’est pas encore le jour ; c’est la morne clarté du matin. Cette première heure du jour que les hommes ont si souvent choisie pour s’entr’égorger est indiquée avec autant de bonheur que le formidable crépuscule de la soirée de Montmirail. Au fond du tableau, vers la droite, on aperçoit la brèche déjà praticable, vivement attaquée et vivement défendue. C’est là que le brave commandant du génie Galbaud-Durfort vient d’être frappé. L’ennemi dirige vers ce point plusieurs pièces de l’artillerie qu’il tient en réserve, et s’apprête à foudroyer les Français dès qu’ils atteindront la crête de la brèche. Il est évident que les assiégeans ne pourront pénétrer de ce côté sans sacrifier bien des hommes. Aussi le général français, tout en continuant l’attaque de front, s’est-il décidé à chercher quelque autre point plus accessible. Une forte colonne, commandée par le chef de bataillon Laforest, s’est glissée, à la faveur d’un reste de nuit et cachée par un pli de terrain, jusque sous la batterie du bastion, dont les défenseurs n’étaient pas sur leurs gardes. Tout à coup la tête de colonne aperçoit la gueule des canons qui couronnent la batterie, et,