Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi son apparition à Paris, où il ne s’était pas fait entendre depuis long-temps. Dans un concert qu’il a donné à la salle Herz, M. Ernst a exécuté un fragment d’un concerto à grand orchestre de sa composition, qui est écrit avec soin, et dans lequel le virtuose a déployé plusieurs qualités remarquables. M. Ernst, qui est un artiste bien doué et dont l’organisation fine et impressionnable se rapproche beaucoup plus du tempérament méridional que de celui des Allemands, ses compatriotes, nous a toujours paru s’attaquer à des difficultés de mécanisme plus grandes qu’il ne lui est donné de les vaincre avec bonheur. Il résulte de cette disproportion entre l’ambition et le talent réel du virtuose un malaise et un embarras dans l’exécution qui se communiquent à l’auditeur, et qui l’empêchent de jouir tranquillement des bonnes choses qu’on lui fait entendre. Voilà comment on peut s’expliquer qu’un musicien aussi distingué que M. Ernst n’atteigne pas toujours à une justesse parfaite, que le son qu’il tire de son violon manque de rondeur, et que son style, gêné qu’il est par les difficultés inutiles où il s’engage, n’ait point l’ampleur qu’on pourrait désirer. M. Ernst vise trop à l’effet, et surtout à l’effet dramatique, et, au lieu de l’émotion qu’il cherche à produire, il ne trouve souvent que la manière. M. Ernst, qui s’est produit dans le monde musical sous les auspices d’une mauvaise école, qui n’a jamais eu de consistance, et dont les prétendus chefs sont abandonnés aujourd’hui de leurs partisans les plus aveugles ; M. Ernst, disons-nous, n’a point appris à vieillir. Son style juvénile conserve les chatoiemens et les vezzi qui conviennent à la fleur du bel âge, mais dont il faut savoir se dépouiller à propos, à moins de vouloir rester toute sa vie un grand enfant gâté comme M. Listz.

L’apparition la plus intéressante qui ait eu lieu cet hiver à Paris est celle d’une jeune pianiste de Prague, Mlle Clauss. À peine âgée de vingt ans, nourrie de la moelle des lions, sachant par cœur la musique de tous les maîtres, Mlle Clauss possède un des plus beaux talens qu’il soit possible d’entendre sur le piano. Dans un concert qu’elle a donné dernièrement, Mlle Clauss a exécuté successivement une fantaisie de M. Thalberg sur la Sonnambula de Bellini, un nocturne délicieux de Chopin, une fugue de Bach, une charmante sonate d’Alexandre Scarlati, et cela avec un éclat, avec une propriété de style, une puissance et une netteté d’exécution qui ont émerveillé les connaisseurs. Mlle Clauss est une virtuose de premier ordre, dont le talent magnifique doit rester l’interprète de la bonne musique, et non pas s’abaisser, comme au concert dont nous parlons, jusqu’à jouer le morceau extravagant que M. Listz a improvisé sur le Don Juan de Mozart. Un concert donné par une autre pianiste, Mlle Mattmann, nous a offert aussi une récente occasion d’apprécier son beau talent, connu depuis long-temps. Enfin nous devons citer encore la séance donnée par M. Bessems, accompagnateur habile sur le violon et interprète intelligent des chefs-d’œuvre des maîtres. Peu de saisons musicales, on le voit, auront été aussi favorables que celle-ci à la musique de chambre.


P. SCUDO.



REVUE LITTERAIRE.

Il y a, dans la vie de l’artiste, des momens d’hésitation et de lassitude où, après avoir épuisé une veine heureuse, il se voit forcé d’en chercher une autre pour ranimer autour de son nom l’empressement et le bruit. Entre son succès