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de la récolte fait de l’agriculteur un négociant qui étudie les marchés, qui expédie au loin, en un mot qui est placé dans une position très supérieure à celle de la plupart des paysans de la Suisse pour tirer le meilleur parti possible des circonstances comme producteur et comme vendeur.

Les chemins de fer qui sillonnent l’Allemagne, et qui commencent aussi à former en France un assez vaste réseau, offrent, pour le transport des céréales et des farines, des facilités qui s’accroîtront encore. Dans un temps très court et avec des frais considérablement réduits et dont le chiffre est connu d’avance jusqu’au dernier centime, on peut dès à présent envoyer d’une extrémité de l’Allemagne à l’autre une masse de blé qui arrive sur le marché à jour fixe. Déjà l’importation annuelle du blé en Suisse par le port de Rorschach ; sur le lac de Constance, s’élève à plus de cinq cent mille quintaux, et cette quantité s’accroîtra, en raison des facilités offertes par les chemins de fer tout récemment terminés ou près de l’être, jusqu’à ce que les prix se soient nivelés dans toute l’étendue des pays soumis à la même influence. En 1846, il fallut en France se servir du canal de Bourgogne pour faire arriver en Suisse les farines américaines achetées au Havre ; le trajet nécessita de cinquante à soixante jours. Le transport des blés venant de Marseille entraîna des frais très considérables, le manque d’eau dans le Rhône ayant entravé la navigation. Aujourd’hui il ne faut plus que vingt ou vingt-cinq jours pour que les envois, non pas du Havre, mais de New-York arrivent en Suisse, grace aux steamers transatlantiques et aux chemins de fer qui unissent le Havre à Dijon. Dans trois ans, les communications de Marseille à Lyon, peut-être jusqu’à Genève, n’exigeront pas plus de un à deux jours.

Il y a un autre fait dont la Suisse doit tenir grand compte pour apprécier l’influence que peuvent exercer les chemins de fer sur son agriculture. Depuis quelques années, les États-Unis d’Amérique entrent pour une part notable dans l’approvisionnement des principaux marchés en Europe, où ils envoient, non pas leurs blés, mais leurs farines, aussitôt que les prix s’élèvent au-dessus de la moyenne. Dans l’année de disette 1846, les États-Unis ont fourni des ressources considérables pour l’alimentation de l’Europe ; d’énormes quantités de farine furent importées en Suisse ; une seule maison en répartit dans le canton de Vaud 6,000 barils, et, quoique achetées dans un moment de disette, ces farines donnèrent encore de gros profits. Ce commerce semble, au premier moment, devoir être tout-à-fait accidentel ; en y réfléchissant mieux, on est porté à croire qu’il s’établira sur des bases de plus en plus solides, parce que l’accroissement de la production et le développement des moyens de transport mettent les États-Unis dans la nécessité d’exporter leurs produits, et leur permettent de les céder à des prix comparativement bas.

Tout semble d’ailleurs favoriser ces progrès incessans du commerce des céréales américaines. L’émigration en Amérique, si nombreuse dans ces dix dernières années, s’est surtout portée vers l’ouest, — le climat et le sol ont encouragé la culture des céréales ; mais les communications, lentes et dispendieuses, ne permettaient guère d’expédier au loin les produits : or un immense réseau de chemins de fer, déjà en partie livrés à la circulation, sera entièrement terminé l’an prochain sur une étendue de 1,100 milles, et mettra en rapport direct