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pied des montagnes ; le passage des Alpes devra donc se faire par les voitures ordinaires. Il est regrettable assurément qu’on n’ait pu trouver un autre moyen de franchir cette double barrière ; mais, si même la locomotive pouvait jamais se lancer avec sécurité sur des pentes qu’elle doit éviter aujourd’hui comme trop rapides, il faut reconnaître qu’elle rencontrerait dans le climat des Alpes, pendant cinq ou six mois d’hiver, des obstacles plus redoutables encore que les aspérités du terrain. Personne n’ignore que l’un des dangers les plus grands et les plus fréquens dans les Alpes durant la mauvaise saison, c’est l’accumulation subite des neiges, que la tourmente rassemble sur des points qui paraissaient libres quelques instans auparavant. Le télégraphe électrique ne serait lui-même qu’une imparfaite garantie de sécurité sur un chemin de fer pratiqué à travers ces montagnes. On a parlé de couvrir la voie ferrée ; en théorie, la chose est possible, mais quelle dépense ce blindage ne nécessiterait-il pas, si on voulait faire cette couverture à l’épreuve des avalanches de neige, de glaces et de rochers ! Le Grimsel lui-même peut être vaincu à force de millions : il n’y a pas d’obstacles dont l’argent ne vienne à bout ; mais, dans les entreprises de l’industrie ou du commerce, la condition vitale est que la dépense soit en rapport avec le revenu.

Le réseau tracé par MM. Stephenson et Swinburne n’offre de grandes difficultés que sur la ligne de Bâle à Olten : là seulement l’art des ingénieurs rencontre ces obstacles que l’imagination évoque lorsqu’on parle de chemins de fer en Suisse ; mais partout ailleurs, du lac Léman au lac de Constance, la pente n’excède pas 1 pour 100, sauf entre Zurich et Frauenfeld, où, en quelques endroits, elle est de 1 trois dixièmes pour 100. Le sol est même si peu défavorable, comparé à d’autres contrées, que, d’après les études préliminaires de MM. Stephenson et Swinburne, le kilomètre paraît ne devoir coûter en moyenne, y compris le matériel et les expropriations, que 157,000 fr. pour une voie simple, 176,000 fr. pour une double voie. En voici le détail :


Moyenne pour une seule voie. Soit pour cent Moyenne pour une voie double Soit pour cent
Acquisitions de terrains 13,500 fr 8,6 16,000 fr 9,1
Terrassemens et ouvrages d’art 56,500 36,0 73,000 41,5
Voie proprement dite 47,000 29,9 47,000 26,7
Stations, maisons de garde, clôtures 12,000 7,7 12,000 6,8
Matériel mouvant et fixe 20,500 13,0 20,500 11,6
Frais d’administration 7,500 4,8 7,500 4,3
Totaux 157,000 fr 100 176,000 fr 100

Contrairement à ce qui s’est fait en France, où l’on a dépensé des sommes énormes pour réduire les pentes plus qu’il n’était vraisemblablement nécessaire, et où les travaux d’art ont le caractère monumental qui convient à une grande nation, M. Stephenson recommande à la Suisse de ne pas trop éviter les pentes fortes partout où elles diminueront les ouvrages d’art, d’adopter pour ceux-ci le style le plus simple et de se contenter d’une seule voie, parce qu’avec l’emploi des télégraphes électriques sur des lignes où la circulation sera toujours facile à régler et très inférieure à ce qu’elle est aux approches des