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pont le Britannia ne se laissât séduire par l’idée, assurément fort poéfique, de faire franchir les Alpes à la locomotive, ou d’en traverser la crête par des souterrains s’ouvrant, d’un côté, sur les plaines de la Lombardie, de l’autre, sur la vallée du Jura. De pareilles rêveries n’ont été que trop complaisamment accueillies par des ingénieurs dont le mérite cependant est incontestable, et l’étrange projet d’établir un chemin de fer sur le Grimsel, l’une des sommités les plus élevées et les plus ardues des Alpes, avait fini par être pris au sérieux ailleurs encore qu’en Suisse. L’an dernier même, des gouvernemens allemands et italiens avaient envoyé des agens fort habiles étudier sur les lieux les difficultés de cette extravagante et gigantesque opération, auprès de laquelle le fameux tunnel du Mont-Cenis, de 12,000 mètres de long, n’eût été qu’un jeu d’enfans. M. Stephenson est heureusement doué, comme ingénieur, d’un esprit essentiellement pratique. Assurer à la Suisse, avec le moins de frais possible, tous les avantages d’un réseau de chemins de fer, telle a été l’idée dominante qui l’a dirigé dans son enquête. La nature a prodigué à la Suisse de précieuses ressources, comme pour l’indemniser des difficultés qu’un sol montagneux oppose, sur une vaste portion de son territoire, au transport des voyageurs et des marchandises : c’est à tirer parti de ces ressources naturelles que M. Stephenson s’est surtout appliqué. En se servant des cours d’eau et des lacs, il réduit, par exemple, à 46 kilomètres et demi la communication par voie ferrée de Soleure à Genève. La distance totale entre les deux villes est de 137 kilomètres : les 90 autres kilomètres seraient laissés à la navigation à vapeur, qui serait établie sur le lac Léman entre Genève et Morges ; d’Yverdun à Neuchâtel, et de ce dernier point à Soleure, le lac de Neuchâtel, la Thiele et l Aar seraient aussi utilisés comme voies navigables par le bateau à vapeur. L’ensemble du réseau représenterait une grande croix dont la tige, partant de Genève, atteindrait Romanshorn et Rorschach, sur les bords du lac de Constance ; les bras s’étendraient de Bâle à Lucerne : Olten serait le point de réunion. Quelques lignes moins considérables compléteraient ce système. Ainsi un court embranchement sur Ouchy mettrait Lausanne en rapport avec le tronc principal à Morges ; Berne et même Thoune communiqueraient avec Lyss, Winterthour avec Schaffouse, Coire avec Rorschach, Lugano et Bellinzona avec Locarno.

Si l’on envisage ce projet, non plus au point de vue des intérêts particuliers de la Suisse, mais comme se rattachant au système général des rail-ways dans les pays voisins, on remarquera que le réseau de M. Stephenson et Swinburne offre à Gênes (et aussi à Marseille, si jamais la France revient à l’idée de relier Lyon à la Suisse) l’avantage d’une communication non interrompue avec Bâle, où aboutissent les chemins de fer du Rhin, et avec les rives du lac de Constance, où se terminent ceux du Wurtemberg et de la Bavière. La ligne transversale de Bâle à Lucerne, et de là, par bateau à vapeur, jusqu’à Fluelen, conduit la circulation au pied du Saint-Gothard. Enfin la ligne de Coire à Rorschach, avec embranchement sur Zurich, par Wallenstadt, offre les mêmes avantages pour le Luckmanier et le Splugen. La France, le Piémont, la Lombardie et l’Allemagne ne verront plus dans la Suisse une contrée sans issue, une barrière qu’il faut éviter à tout prix, parce qu’elle rompt et intercepte les relations commerciales. Il y a toutefois un inconvénient dans le système des ingénieurs anglais : c’est que le réseau projeté s’arrêtera des deux côtés au