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qui l’entraînent. Mais voici une nouvelle action, voici un nouveau mandarin ! Celui-ci a une affaire bien autrement difficile à éclaircir, une trame bien autrement subtile à démêler. Une jeune femme a reçu son amant sous le toit conjugal. Assis devant une table chargée de mille friandises, les deux coupables semblent aussi tranquilles qu’Adam et Ève au milieu des bosquets du paradis terrestre. Ils ont complètement oublié qu’il existe un mari de par le monde. Cet importun arrive à l’improviste. Le don Juan n’a que le temps de se cacher sous le lit, un grand lit de Ning-po, recouvert d’un ciel quadrangulaire, moins semblable à un lit qu’à un cabinet. Au bout de quelques instans, le mari se couche et s’endort. La jeune femme s’est assise à l’autre extrémité de la chambre et paraît plongée dans de profondes réflexions ; mais soudain un voleur se montre à la fenêtre laissée entr’ouverte. D’un coup d’œil, il a jugé la position : la femme ne l’a point aperçu ; elle ne tardera point à se coucher ou à sortir. Il suffit donc de se cacher n’importe où pendant quelques minutes. Le voleur grimpe lestement sur le lit et se blottit entre les planches. Le mari cependant paraît reposer du sommeil du juste : sa femme s’approche de lui, interroge ses paupières, sa respiration ; il dort. Elle appelle alors son amant, qui sort assez maussade de l’asile où il s’est réfugié. À cette apparition inattendue, le voleur, du haut de son estrade, témoigne son étonnement. Qui se serait douté de cela ? semble-t-il dire. Quel est son effroi quand il voit la jeune femme aller chercher une hache bien affilée, la mettre aux mains de son amant et l’engager par ses gestes et par ses discours à la débarrasser de son mari ! L’amant proteste, laisse échapper l’arme homicide et veut fuir : sa complice l’arrête. Qu’il frappe à l’instant ! ou elle éveille son mari et livre à sa vengeance le séducteur dont l’amour hésite devant le crime. — Il le faut. — Eh bien donc qu’il meure ! L’amant frappe, le mari expire, et les deux coupables s’en vont tout joyeux, après s’être prodigué mille caresses, doucement enlacés l’un à l’autre. Le voleur épouvanté est resté maître du logis ; il descend de sa cachette. Si l’on songe aux habitudes peu sanguinaires des voleurs chinois, à l’impitoyable sévérité des juges envers les meurtriers, à l’indulgence des tribunaux quand il ne s’agit que d’un simple vol, on comprendra combien le filou ainsi compromis doit avoir hâte de quitter cette maison infernale. Malheureusement pour le voleur, les assassins ont fermé la porte ; il lui reste la fenêtre. Il a déjà le pied sur le rebord de la croisée, il va sauter dans la rue hélas ! Voici la justice de Tao-kouang qui passe. Un homme sortant par la fenêtre, qu’est-ce à dire ? Est-ce ainsi que les rites ont réglé la chose ? On entre ; on saisit le drôle. Eh quoi ! dans ce lit un homme assassiné ! — Ton procès sera court, sois tranquille. — Mais je suis innocent ; cet homme a été assassiné à l’instigation de sa femme. — La belle invention !