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propriétaire. Dans les temps primitifs dont les chroniques chinoises ont gardé la mémoire, la possession du sol était le privilège de quelques familles princières ; le peuple vivait dans un état voisin du servage[1] : il livrait à l’empereur ou aux princes feudataires le dixième des grains récoltés ; mais, depuis deux mille ans, les souverains du Céleste Empire, — sans abdiquer les droits nominaux de leur couronne, sans sacrifier les droits plus réels de leur trésor, — n’en ont pas moins constitué dans leurs états la propriété foncière sur une base qui diffère peu de celle qu’ont en Europe consacrée les progrès de la civilisation.

Il est probable que les premiers titres de propriété eurent pour origine, dans cette partie de l’extrême Orient, la libéralité du souverain ou le défrichement d’un terrain inoccupé. Aujourd’hui même, il suffit de mettre en valeur une portion de terre inculte ou de soustraire à l’action de la mer quelque alluvion récente pour obtenir la pleine et entière possession du sol qu’on a rendu fertile. Le magistrat du district ; dont il faut obtenir l’agrément avant de s’engager dans de semblables entreprises, délivre au cultivateur, — après une enquête préalable et un délai de cinq mois accordé aux réclamations qui pourraient se produire, — un acte de concession timbré d’avance par le surintendant de la province. Cet acte est un titre de propriété qui peut servir de base aux transactions futures, et dont la transmission substitue aux droits du premier possesseur les droits d’un nouveau maître. Toutefois, quand l’origine de la propriété se perd dans la nuit des temps, les contrats de vente antérieurs, soigneusement conservés et toujours revêtus du sceau des mandarins, suffisent pour valider une aliénation nouvelle. Il est d’usage, surtout dans les provinces méridionales, que le propriétaire se dessaisisse entièrement de ses droits en faveur du fermier, moyennant le paiement d’un droit de mutation et l’acquittement d’une rente annuelle. C’est ainsi que le morcellement des biens-fonds est, en réalité, poussé dans le Céleste Empire jusqu’à ses extrêmes limites. Heureusement l’énergique intervention du pouvoir central a prévenu les inconvéniens que devait entraîner un pareil état de choses. Les mêmes lois qui ont constitué, depuis vingt siècles, la propriété foncière dans l’empire chinois se sont occupées d’organiser, en vue de l’intérêt public, un service d’irrigation générale. Le Tcheou-li assignait, six cents ans avant Jésus-Christ, aux cours d’eau artificiels qui sillonnaient déjà dans tous les sens les provinces du nord leur largeur, leur profondeur et leur direction. La solution des plus importantes questions sociales

  1. Voyez le Tcheou-li, ou rite des Tcheou, code administratif rédigé par un des princes qui régnaient sur la Chine il y a trois mille ans, près de six cents ans avant la naissance de Confucius. Ce curieux ouvrage, qui ne comprend pas moins de deux gros volumes in-8o, a été traduit pour la première fois par M. Édouard Biot, jeune savant plein d’avenir qui a usé sa vie à ce rude labeur.