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de Su-ka-wé, les pères de la compagnie de Jésus. Ces héritiers d’une illustre mission, appelés à seconder un prélat italien, avaient voulu s’établir sur le lieu même où le père Ricci, dans les premières années du XVIIe siècle, conquit à l’Évangile le fameux Paul Su, un des ministres qui ont servi le plus fidèlement la dernière dynastie chinoise. Après avoir lutté courageusement contre les dénonciations calomnieuses qui vinrent l’assaillir, après avoir, dans un livre qui est demeuré un modèle de clarté et d’élégance, vengé la religion catholique des injures de ses ennemis, ce philosophe chrétien s’éloigna volontairement de la cour, et vint se retirer au village de Su-ka-wé, propriété de la famille Su, à quelques milles de Shang-hai. Un canal gonflé par la marée montante, mais dont les longues rames de notre canot touchaient les deux bords, nous conduisit au pied même du nouveau monastère, simple et frais édifice, d’où notre arrivée fit sortir un essaim de Chinois gigantesques. La figure martiale et les longues moustaches de pareils Chinois auraient suffi pour mettre en fuite toute la milice de Shang-hai. Ces prétendus enfans du Céleste Empire n’étaient autres que le père Gotland, le père Poissemeux, supérieur de la mission, le père Clavelin, le père Lemaître, le père Bruillion que la Bayonnaise avait porté de France à Macao, le père Massa, fléchissant déjà sous la maladie qui devait l’enlever. Nous avions sous les yeux l’élite des missionnaires de la compagnie de Jésus. Si l’on veut songer avec quelle force les préjugés contractés dès l’enfance s’incrustent dans l’esprit, si l’on veut se rappeler avec quelle animosité les jésuites furent jadis signalés à notre juvénile indignation, on comprendra quelle surprise agréable ce fut pour nous de voir apparaître les ténébreux enfans de Loyola sous des traits qui ne rappelaient en aucune façon le type consacré par les préventions populaires. Nous étions habitués à l’aimable franchise, à l’exquise urbanité des enfans de saint Vincent de Paul et des pères des Missions-Étrangères - nous avions donc le droit de nous montrer difficiles en fait de missionnaires ; mais je dois confesser que nos nouvelles connaissances soutinrent sans désavantage la comparaison. Les pères de Su-ka-wé semblaient se multiplier pour répondre à nos questions et faire aux officiers français les honneurs de leur monastère. Les religieux du mont Saint-Bernard ne reçurent pas avec plus d’empressement le héros qui venait de gravir les Alpes. Il y avait sur ces loyales physionomies une empreinte de droiture et de bonté qui inspirait le respect et commandait la sympathie. L’habitude du danger et des privations, la foi exaltée de l’apôtre, impriment à la figure du missionnaire un cachet à part. La Chine, la Cochinchine, le Tong-king, sont le champ de bataille de l’église militante, et les prêtres qui ont campé sur les sommets du Tant-la, voyage dans les brouettes du Kiang-nan, ou traversé le lac Po-yang dans leurs