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prières de l’église traduites en chinois par les premiers missionnaires. Mgr Maresca, évêque de Solen et préfet apostolique du Kiang-nan, est un prélat italien ; mais en Chine tous les prêtres catholiques ont le cœur français, tous les missionnaires apprennent à leurs néophytes à bénir le nom de la France. Le préfet apostolique du Kiang-nan était au nombre des personnes que nous devions souvent revoir. Aussi profitâmes-nous de son indulgence pour brusquer un peu cette première visite et nous acheminer en toute hâte vers le consulat des États-Unis, dont le pavillon flottait à deux milles de là, sur le terrain de la communauté anglaise, presqu’en face du mouillage occupé par la Bayonnaise.

Le consul américain, M. Griswold, était à Shang-hai le représentant de la maison Russell. La cordiale franchise de cet associé de M. F’orbes acheva ce qu’avait préparé une si heureuse coïncidence et assura l’intimité de nos rapports avec le consulat des États-Unis. La maison qu’habitait M. Griswold portait, comme celle des négocians anglais associés, les Dent ou les Matheson, ce cachet grandiose qu’imprime encore sur les côtes de Chine, à toutes les constructions européennes le souvenir des beaux temps de la compagnie des Indes. Dans ce palais qu’il habitait seul, M. Griswold eût voulu retenir, pour tout le temps de leur séjour à Shang-hai, une partie des officiers de la corvette française. Nous n’eussions point eu de motifs pour décliner une offre aussi aimable que sincère, si la Bayonnaise eût été mouillée, comme à Macao ou à Manille, à trois trilles de la terre ; mais à Shang-hai, où la corvette se trouvait à portée de voix du quai, à quelques mètres du rivage, nous préférâmes, malgré les gracieuses instances de M. Griswold, rester fidèles à nos habitudes. Le soir même, au moment où les ténèbres de la nuit commençaient à s’étendre sur le fleuve, brisés de fatigue, enchantés cependant de notre journée, nous regagnâmes, comme l’oiseau qui retourne à son nid, le noble et beau navire sur lequel nous devions achever le tour du monde.


III

Après quarante-huit heures consacrées, avec une conscience qui eût édifié le tribunal des rites, aux plus minutieuses exigences de l’étiquette, nous avions enfin reconquis notre indépendance. Chacun de nous pouvait désormais suivre librement le chemin où l’entraînerait sa fantaisie. Cette fois nous avions bien réellement devant nous la Chine ouverte : plus de tigres veillant comme à Canton aux portes de la ville pour en écarter les barbares, plus de populace insolente pour entourer de périls la moindre reconnaissance poussée au-delà de China-street. À Shang-hai, l’Européen parle et agit en maître. Ce sont