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jeune et habile interprète, M. Kleiskowsky, le village de Wossung. Enfermés depuis le matin dans leurs chaises de bambou, ces intrépides voyageurs furent assez heureux pour rencontrer près du débarcadère le canot d’un receiving-sitip qui les conduisit à bord de la corvette. Ce fut une grande joie pour notre excellent consul de se retrouver au milieu de ses compatriotes. Bien peu de personnes ont conservé au même degré que M. de Montigny ce culte passionné, cette admiration enthousiaste que tout Français, il y a cinquante ans, se faisait honneur de professer pour son pays. Un tel homme pouvait débarquer sans danger sur la terre des Lotophages : ce n’était donc point l’affreux exil de Shang-bai, ni les bords boueux du Wampou, qui eussent pu effacer de sa mémoire cette belle France, qu’il n’avait consenti à quitter que dans l’espoir de la mieux servir. Contraint par les caprices de la fortune de renoncer au métier des armes après avoir bravement combattu pour l’indépendance de la Grèce, M. de Montigny porta dans sa nouvelle carrière la vigueur et la décision qui lui avaient valu dans les rangs des Philhellènes l’estime et l’affection du général Fabvier. Arrivé à Shang-hai au mois de novembre 1847, sur un navire de commerce anglais, il trouva dans ce port qui n’avait jamais été visité que par une corvette française, l’Alcmène, le consul de sa majesté britannique entouré de toute la considération que devaient lui assurer des intérêts sérieux, l’éclat récent d’importantes victoires, et ce fastueux établissement consulaire à l’entretien duquel la Grande-Bretagne consacre chaque année une somme de 100,000 francs[1]. Tout autre que M. de Montigny se fût senti écrasé par l’ascendant de cette position supérieure ; mais le nouveau consul de France avait fait partie de la mission de M. de Lagrené ; il avait suivi avec un vif intérêt les négociations qui arrachèrent à la cour de Pe-king ses premières promesses de tolérance religieuse : il se croyait donc envoyé à Shang-hai, non-seulement pour y protéger nos nationaux, — si jamais nos nationaux se montraient dans ce port, — mais aussi pour y déposer les germes des transactions futures, pour y développer surtout les conséquences d’une conquête morale dans laquelle il voyait le seul avenir ouvert à notre influence. Tout rempli de la grandeur de sa mission, exalté par ces espérances qui n’appartiennent qu’aux natures vigoureuses, M. de Montigny entreprit de marcher de pair en toute occasion avec le consul


  1. Traitement du consul anglais 37,500 francs
    Traitement du vice-consul 18,750
    Traitement de l’interprète 22,500
    Traitement du médecin 10,000
    Traitement d’un employé 5,000
    Loyer de l’hôtel consulaire 6,000
    Total 99,750 francs.