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d’un mezzo-matto ne suffisent pas. Prenez le temps de constater l’exactitude des faits. Une enquête vaut mieux que ma parole.

— Point d’enquête ! répondit le général ; on me déguiserait encore la vérité. Vous dicterez vous-même, et je tiendrai la plume. C’est vous seul que je consulterai. À mon âge, on ne se trompe plus sur la droiture et la sincérité des gens. Le mezzo-matto seul a ma confiance. Donnez-moi la main. Je vous estimais avant de vous connaître ; à présent, je vous aime. Quand tous les maux que vous m’avez signalés seront guéris, quand vos jeunes gens auront femme et enfans, promettez-moi de rentrer dans votre château, de rappeler auprès de vous les artistes et les savans, et de vivre en homme réconcilié avec son siècle et ses concitoyens.

— Général, dit le marquis, vous touchez du doigt ma folie. Je n’ai qu’une passion, qu’un amour, la pauvre Sicile. Pour en faire une figure allégorique, il faudrait représenter une femme parfaitement belle et couverte de haillons. Plus elle est misérable, et plus je l’aime. Si vous cherchiez, une lanterne à la main, comme Diogène, un fou disposé à mourir obscurément, dans un coin, sans gloire et sans consolation, pour elle, pour la ranimer un instant pour lui rendre une parcelle de cette vie, de ce commerce, de ce mouvement qu’elle avait dans les siècles évanouis, je serais votre homme.

— Vous ne mourrez point, répondit le général, et la Sicile ne s’en portera que mieux. Je prends les devans et je vous attends à Syracuse. Retournez près de vos amis ; apprenez-leur qui je suis, et faites qu’ils ne haïssent pas un vieux soldat bien endurci au mal et que vous voyez cependant ému de leurs souffrances jusqu’au fond de ses entrailles. Au revoir, mon cher Germano ; ce moment ne s’effacera jamais de mon souvenir.

Durant trois jours, le général et le marquis demeurèrent enfermés dans les bureaux de la sous-intendance. Ils se séparèrent ensuite en s’embrassant ; l’un partit pour Palerme, d’où il devait se rendre à Naples, avec un rapport secret et volumineux ; l’autre, parvenu au but qu’il avait tant souhaité, reconduisit chez elle donna Carmina et revint à Taormine avec maître Carlo, en lui disant qu’il pouvait passer la tête haute devant tous les gendarmes du monde. Le beau muletier, vêtu de neuf, conduisit à l’église de Gallidoro sa fiancée parée des atours qu’elle ne croyait plus faits pour elle. La Zita eut des frissons de bonheur sous son corsage de soie. Il lui sembla que le petit bracelet d’or, présent de noce du cher seigneur Germano, était la main de la fortune elle-même qui lui pressait le bras pour la mener vers son fidèle Carlo. Sa toilette fit l’admiration des paysans, et le marquis la trouva si belle sous son voile d’épousée, qu’il lui échappa des murmures d’envie que maître Carlo prit pour un badinage, d’autant que