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Dormi puviriddu ! La douceur de l’accent sicilien prêtait à ces mots un charme particulier. Depuis un quart d’heure, le marmot ne bougeait plus, et le marquis voulait toujours bercer. La mère tourna la tête sur son épaule et chanta en souriant : « Si l’on voyait une excellence transformée en bonne d’enfant, on l’appellerait mezzo-matto. Dors, pauvre petit ; un grand seigneur te berce. Dormi puviriddu ! »


V

Soit que la rencontre d’un mezzo-matto porte bonheur, soit que notre marquis eût des talens particuliers dans son métier de bonne d’enfant, il est certain que le marmot et sa mère se trouvèrent bien des soins qu’il leur rendait assiduement. Les yeux de Carmina reprirent bientôt leur premier éclat, l’embonpoint de la santé reparut sur ses joues, et les voisins, remarquant plus d’aisance dans la maison, admirèrent l’efficacité du petit cierge offert à Sainte-Agathe-la-Vieille. Un soir, le seigneur Germano vint annoncer à sa nouvelle amie que ses vastes projets et sa mystérieuse entreprise l’appelaient à Syracuse. Il semblait, à l’entendre, que le salut de la Sicile dépendît de ce voyage fantasque ; il ajouta que, de loin comme de près, il saurait secourir le marmot et la mère. Carmina laissa tomber son aiguille.

— Vilain fou que vous êtes, dit-elle avec vivacité, m’enverrez-vous aussi de loin les consolations, les paroles affectueuses, les soins de tous les instans qui m’inspiraient le courage, l’espérance et la gaieté ? Gardez vos secours, et ne m’enlevez pas mon ami.

— Le moyen de ne point quitter ceux qu’on aime, c’est de les suivre où ils vont, répondit le marquis.

— Eh ! puis-je vous suivre avec un enfant de six mois, sans nouvelles de mon mari, sans savoir si le pauvre Antonio est mort ou vivant ?

— Ce sont là, reprit le marquis, autant de raisons de partir avec moi. Apprenez qu’un invisible lien rattache l’enlèvement d’Antonio à la perte de mon fatal procès. Le jour où je trouverai ce que je cherche, nous remporterons une triple victoire. Carlo, le muletier aux bras de fer, épousera la Zita à la poitrine d’acier, votre mari vous sera rendu, je secouerai le fardeau qui m’accable en payant enfin cette terrible dette de seize tari qui fait de moi un vagabond et un rebelle aux lois, ma barrière de bois se relèvera de sa chute, et si le malheur voulait que le pauvre Antonio Alessi eût rencontré la mort en pleine mer, je vous pourvoirai immédiatement d’un autre époux, aussi tendre et aussi dévoué que lui, car il faut à votre bambin une légion de frères et de soeurs, à moins que vous ne préfériez vous brouiller avec moi et