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d’ailleurs, pour me distraire, la compagnie de mon ami Carlo, excellent garçon et artiste parmi les muletiers. Nous ferons ensemble le meilleur ménage du monde.

— Fort bien, reprit le plaisant, vous serez à Catane avant un mois. Je ne vous donne point de commissions. Ne craignez-vous pas qu’on mette votre tête à prix ? Seize tari, c’est une jolie somme.

— Quand je serai marié comme vous, répondit le marquis, ma tête aura plus de valeur. Au prix où est le bois, la vôtre serait une belle acquisition. Mais vous me faites perdre mon temps. Je veux coucher ce soir à Taormine.

Notre homme fouetta son mulet et se mit en route à l’ombre d’un vieux parapluie qui lui servait d’ombrelle. Lorsqu’il passa devant l’avenue de sa villa, il vit le concierge assis sur les débris de la barrière qui avait été détruite. — Bonjour, Pippo, dit le marquis, as-tu exécuté mes ordres ?

— De point en point, excellence. J’ai renvoyé les ouvriers qui travaillaient sur la terrasse. Le mastic manque en plusieurs endroits et la pluie ne tardera pas à tomber dans les appartemens. J’ai laissé les portes et les fenêtres ouvertes. Le vent a déjà cassé beaucoup de vitres. Le jardinier n’arrose plus les fleurs. Des mauvaises herbes commencent à pousser dans les plates-bandes. Les vaches du voisin Giacomo sont venues paître sur la pelouse. Des chèvres sont occupées à tondre vos arbustes. Si votre seigneurie voulait entrer chez elle un moment, elle serait peut-être d’avis d’arrêter ces dégâts.

— Fais ce que je te dis, Pippo. Une des statues de la pièce d’eau chancelle sur ses pieds ; n’y touche pas : je désire qu’elle tombe dans le bassin. Lorsque l’aqueduc sera endommagé, tu laisseras l’eau former des ruisseaux dans la cour.

— Comme votre seigneurie le commande ; mais cela brise le cœur.

— Eh bien ! ton cœur sera semblable à ma barrière, honnête Pippo.

Une barrière brisée suffit à garder une propriété en ruines.

— J’ai entendu, répondit le concierge.

— Excellence, dit Carlo en secouant la tête, tout cela est d’un triste présage pour mes amours.

— Mon ami, reprit le marquis, tu connaîtras un jour comment ton mariage et ma barrière, tes amours et mon procès ne sont qu’une même affaire. Ce voyage que j’entreprends, c’est précisément à la recherche de l’incident qui doit réparer du même coup ton désastre et le mien.

— Votre seigneurie en sait plus long que moi ; je m’en rapporte à elle.

— Et tu fais bien mon garçon. — Adieu, Pippo ; aie toujours le même soin de la maison jusqu’à mon retour.