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apparences. Un homme a l’air solide, mais souvent ce n’est qu’un pauvre diable. Les épaules, les jambes, cela ne prouve rien, si l’estomac est faible. Quant à cette Zita dont vous parlez, je ne sais ce que c’est.

— Je devine, reprit le marquis : tu vas commencer par de la défiance et des mensonges ; mais je suis de ce pays, et toutes les ruses me sont connues. Tâchons d’abréger : tu aimes la fille de mon fermier Matteo ; je m’intéresse à ces bonnes gens. Si tu veux épouser la Zita, je t’avertis que je lui donne mille ducats de dot et une pension de cinquante ducats à chaque enfant qu’elle aura. Tu es libre de la refuser ; je lui trouverai sans peine un mari qui ne se plaindra point de maux d’estomac.

— Ce serait trop d’audace à moi, répondit Carlo, que de contredire votre excellence. Supposons donc, pour lui plaire, que j’aime la Zita et que j’accepte la proposition.

— Tant de complaisance me touche. Puisque tu consens à feindre, pour un instant, d’aimer ta maîtresse et de recevoir une dot sur laquelle tu ne comptais pas, nous irons ensemble chez la Zita, et je te présenterai à la famille de ta future.

Le bonhomme Matteo, qui ne savait pas un mot de ces pourparlers, agréa le gendre qu’on lui proposait, et fut édifié de la docilité de sa fille.

— Je ne vois, dit-il, qu’une objection à faire : Carlo voudra sans doute emmener sa femme à Taormine.

— Assurément, interrompit le marquis. Mon dessein n’est pas de marier ces enfans pour qu’ils vivent sous des toits différens. Je vous fournirai un garçon de ferme qui prendra la place de votre fille et fera son ouvrage.

Cette promesse ayant levé la dernière difficulté, les amoureux échangèrent le baiser des fiançailles. On décida que la cérémonie aurait lieu à Gallidoro, et on fixa le jour du mariage au lundi de Pâques. Maître Carlo eut la permission de faire sa cour. Hormis le temps que lui prenait son service de messager, il consacrait le reste à sa future. Quand la Zita avait de l’ouvrage, il l’aidait, ou bien il lui chantait, en s’accompagnant de la guitare, des chansons dont il composait les paroles et la musique. Un domestique du marquis vint à la ferme chercher l’unique robe que possédait la jeune fille ; pour la première fois, cette robe sortit de l’armoire un autre jour que le dimanche, et avec ce modèle, une couturière de Messine fit la parure complète de l’épousée. Il fallut essayer cette parure, et la Zita, vêtue de soie, coiffée d’un voile et chaussée de souliers blancs, eut une syncope en se voyant si belle. Des larmes roulèrent dans ses yeux, et il lui sembla qu’elle aimait trois fois davantage le protecteur et le fiancé à qui elle devait ces atours.