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discernement, sans émotion, sans joie comme sans tristesse, toutes les pages qui se rapportent à son sujet, et n’essaie pas de les transformer par la réflexion, par l’imagination ; la réalité lui suffit. Son esprit n’éprouve pas le besoin de s’élever jusqu’aux proportions d’une composition historique. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les derniers momens de Charles Ier, tels que nous les trouvons dans le récit de M. Guizot, n’excitent en nous qu’une douleur passagère. Le narrateur est si peu ému, que le lecteur ne peut guère s’émouvoir. Il assiste au dénoûment de cette tragédie comme il écouterait le troisième terme d’un syllogisme. Les prémisses étant posées, la conclusion est facile à prévoir, et la raison n’a pas à se troubler. Voilà le fruit de l’impartialité poussée aux dernières limites.

Cependant il ne faudrait pas juger la valeur intellectuelle de M. Guizot d’après l’histoire seule de la révolution anglaise, car c’est dans son enseignement de la Sorbonne qu’il a donné la mesure complète de ses facultés. C’est là seulement qu’il a montré librement toute la sagacité de son esprit, toute l’étendue, toute la variété de son érudition. Pour estimer sûrement ce qu’il vaut, pour déterminer avec sincérité la place qu’il doit occuper dans l’histoire littéraire de son temps, il faut consulter ses leçons de 1828, 1829 et 1830. Ces leçons nous offrent l’intelligence de M. Guizot dans son développement le plus complet. Pendant ces trois années qui ont fondé sa renommée, il s’est proposé de raconter l’histoire de la civilisation européenne et de la civilisation française. Toutefois il convient d’assigner des limites précises au premier de ces deux récits. L’Histoire de la Civilisation européenne commence à la chute de l’empire romain, et finit au début de la révolution française. Dans cet enseignement de trois années, dont la génération à laquelle j’appartiens garde un souvenir reconnaissant, l’auteur a décomposé, expliqué, commenté tous les faits accomplis depuis la grande invasion de 406 jusqu’à la convocation des états-généraux avec une pénétration, une lucidité que personne n’a jamais dépassées. Une objection se présente naturellement : pourquoi M. Guizot n’a-t-il pas raconté les faits avant de les commenter ? Cette objection, quelque grave qu’elle soit, n’a de valeur qu’aux yeux de ceux qui ne connaissent pas par eux-mêmes les leçons de M. Guizot, car il a pris soin de dire à ses auditeurs : si vous ne connaissez pas l’histoire, étudiez-la. Je ne la raconterai pas, je me contenterai de l’expliquer. Il demeure donc bien entendu que l’Histoire de la Civilisation européenne et l’Histoire de la Civilisation française ne sont pas des récits dans le sens vulgaire du mot. Les faits proprement dits tiennent peu de place dans cette double exposition. M. Guizot a voulu nous montrer les idées qui ont présidé à l’accomplissement des faits ; en d’autres termes, il a voulu nous montrer le développement individuel et le développement social de l’humanité.