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pas de peine à culbuter M. Wallmark sur sa gazette, et, impitoyables dans leur victoire, ils composèrent le poème grotesque des Nuits sans sommeil de Markall pour lui servir d’oraison funèbre.

Une fois vainqueurs, les phosphoristes se laissèrent aller à poursuivre trop loin leurs ennemis en déroute. M. Atterbom lui-même, doué d’une imagination ardente, fut entraîné dans l’excès opposé à celui qu’il voulait détruire. Ennemi décidé de l’imitation française, il alla donner tête baissée dans un teutonisme mystique dont les fausses lueurs ne convenaient certainement pas au goût suédois. Il fut le premier disciple de Schelling dans le Nord, et emprunta de la philosophie allemande une apparence de profondeur et une enflure du langage qui ne lui étaient pas naturelles. Lui qui, dans ses poésies populaires et ses romances, s’était montré simple et naïf, on le vit inventer des expressions hyperboliques, multiplier des images étranges. Sa petite composition les Fleurs n’en a pas moins été fort goûtée dans son temps, et celle qui est intitulée Mes Souhaits, dédiée à sa mère, est pleine de fraîcheur. Son poème lyrique A mon Oncle offre, avec un sentiment profond, une grace remarquable. On n’en saurait dire autant de son Ile du Bonheur, exposition quelque peu obscure de la philosophie de Schelling.

Si le chef même de l’école romantique fit ainsi fausse route, que devait-il arriver de ses disciples ? M. Palmblad, aujourd’hui professeur de grec à l’Université d’Upsal et excellent géographe en même temps qu’écrivain fort distingué, alla planer sa tente dans les régions romantiques d’un Orient tout d’imagination. Les travaux des frères Schlegel sur la langue sanscrite et sur le bouddhisme venaient d’exciter en Allemagne une folle admiration ; le poème d’Amala, par M. Palmblad, en fut le premier écho dans la Suède. Une foule de jeunes poètes évoquèrent bientôt à l’envi l’Inde et ses palmiers, ses parias et ses forêts saintes. M. Palmblad fut le premier bramine de la Suède, et peu s’en fallut que la petite ville d’Upsal, le vieux sanctuaire scandinave, ne devînt une pagode.

Le moyen-âge eut, comme l’Orient, ses adorateurs. Stagnélius s’éprit des cathédrales gothiques, des gargouilles et de l’ogive ; il redemanda les premiers temps du christianisme, descendit dans les catacombes, et fut même au moment de se faire anachorète. Les Éones et le Démiurge devinrent les hôtes habituels de sa muse, dont la demeure fut de cristal et les cieux de perles et d’émeraudes. La chevalerie et les revenans, les fées ’et les vieux héros scandinaves lui inspirèrent des chants empreints d’un mystique enthousiasme, et sa chaude imagination, hantée par cette fantasmagorie malsaine, le fit gnostique et swedenborgien. — Ling enfin, le farouche Ling, prit en pitié le monde mesquin au milieu duquel son étoile l’avait fait naître. L’excentrique poète crut à peine que ces Suédois maigres et blonds, ses compatriotes,