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fleur, corrompra tout le fruit et détruira mon bonheur ? Bientôt le jeune oiseau aura ses ailes et prendra son essor loin de moi. Hélas ! où l’emportera son vol ? »

Cependant le XIXe siècle venait de commencer : inauguré par la philosophie de Kant, de Fichte et de Schelling, par les écrits de Herder et de Goethe, de Schiller, des Schlegel et de Tieck, il ouvrait aux poètes et aux penseurs du Nord tout un monde inexploré. OEhlenschläger fut en Danemark le premier interprète de l’esprit nouveau. En Suède, M. Atterbom et quelques jeunes écrivains d’Upsal fondèrent, dès 1807, une société littéraire qu’ils appelèrent du nom significatif d’Aurora. Ils lurent, traduisirent et commentèrent les œuvres récentes de l’Allemagne ; ils prirent en haine les productions froides et compassées que l’imitation française avait multipliées dans leur patrie, et résolurent de la doter d’une littérature plus originale. Il s’agissait d’abord de déblayer le terrain occupé par les classiques. L’académie des dix-huit était le plus solide boulevard du parti ennemi ; ce fut une bastille à prendre, contre laquelle il fallut diriger toutes les armes de la discussion et de la polémique. Le journal Phosphoros, de 1810 à 1815, et le Polyphème, de 1810 à 1812, se chargèrent de ce soin.

Ce fut contre le conseiller de chancellerie Léopold, chef de l’école académique, que la phalange des novateurs dirigea les premières hostilités. Une certaine Lettre critique sur ses œuvres complètes, composée par un des collègues de M. Atterbom dans la société de l’Aurora, donna le signal de l’attaque. Un cri d’horreur s’éleva du sein de l’académie. Si l’on ne respectait plus même les vers alexandrins, que restait-il de sacré ? M. Wallmark, à la tête d’une feuille semi-officielle, se présenta pour défendre les classiques. Il était leur admirateur et l’avait prouvé en publiant, vers 1804, un poème descriptif et didactique sur la Main, réimprimé plus tard avec figures explicatives, le tout aux grands éloges de l’académie, qui l’avait couronné. M. Wallmark s’empressa de crier à l’anarchie, à la destruction universelle : « La nuit des dieux approche, dit-il dans son journal… Que le ciel ait pitié de nous, qui sommes les fidèles serviteurs de sa majesté le roi ! » Les écrivains du Phosphoros avaient pour chef M. Atterbom, qui, en sa qualité de poète lyrique, animait et dirigeait les combattans. Des poésies détachées, insérées dans le Polyphème et le Phosphoros, des études littéraires et d’esthétique, comme en publiaient ses compagnons et lui-même, n’auraient pas suffi toutefois pour décider le succès de la campagne : il fallait des attaques générales et à toutes bordées, dont M. Atterbom seul pouvait prendre la conduite. Son meilleur lieutenant fut M. Hammuarsköld, spirituel polémiste dont la verve agressive n’épargna pas même Tegner, qui s’en vengea en rendant à son adversaire épigramme pour épigramme. Commandés par des chefs si vaillans, les phosphoristes n’eurent