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beautés du sujet, et qu’on peut encore demander un Faust à la vieille légende. Je n’examine pas, en ce moment, si le cadre chorégraphique où il a dû s’enfermer permettait au poète de réaliser complètement cette sévère et heureuse idée ; mais toujours est-il que M. Heine n’hésite pas à déclarer que, pour réussir dans cette difficile tâche, l’inspiration doit se retremper aux sources populaires de la légende et des marionnettes. Je suis heureux de pouvoir, en terminant, prendre acte d’une telle opinion, sortie d’une plume si fine, si judicieuse et si compétente.

Et à présent, messieurs, que ma tâche est achevée, et que la pièce est finie ; à présent que vous avez vu passer et repasser sous vos yeux tous nos petits personnages ; à présent que vous savez toute leur histoire et tous les efforts dont ils sont capables pour vous plaire, permettez que le directeur sollicite en leur faveur votre indulgence. Oui, jetez, mesdames, jetez vos bouquets à la gracieuse FANTASIA, la jolie fée, l’espiègle muse des marionnettes ! Et vous, messieurs, applaudissez ! Voyez quel cortége de beaux génies se presse autour d’elle ! Remarquez dans ce groupe (c’est celui des célébrités qu’elle a délassées et charmées) Leone Allacci, Bayle, Charles Perrault, la duchesse du Maine, Addison, Mme de Graffigny, le docteur Johnson, Charles Nodier et votre ami Henri Heine. Dans cet autre groupe (celui des grands écrivains qui ont taillé leur plume exprès pour elle ou qui lui ont prêté leur voix), voyez Lesage, Piron, Favart, Fielding, Voltaire, John Curran, Byron, Goethe, et, leur égal dans un autre art, Haydn. Ne me reprochez pas de ne parler presque que du passé ! Aujourd’hui même, les journaux et les revues anglaises annoncent à grand bruit l’ouverture d’un nouveau, que dis-je ? d’un royal théâtre de marionnettes (Royal Marionette Theatre). Punch a retrouvé à Londres sa langue affilée, sa pratique et son bâton. Il a déjà, dans un piquant prologue, bravement croisé bois contre bois sur le dos de M. Wood. Bravo ! Punch ! — Et chez nous, ne serait-il pas à propos de réveiller un peu Polichinelle ? N’aurait-il plus rien à nous apprendre, ce petit Ésope en belle humeur ? Surtout ne dites point qu’il est mort. Polichinelle ne meurt pas. Vous en doutez ? Vous ne savez donc point ce que c’est que Polichinelle ? C’est le bon sens populaire, c’est la saillie alerte, c’est le rire incompressible. Oui, Polichinelle rira, chantera, sifflera, tant qu’il y aura par le monde des vices, de la folie, des ridicules. — Vous le voyez bien : Polichinelle est immortel !


CHARLES MAGNIN.