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appartiennent, non pas seulement par la date, mais aussi par la nature du talent de l’écrivain, par la direction de son caractère et de ses idées, au siècle de Gustave III. Wallenberg, Lidner et Thorild forment à eux trois la véritable transition de l’époque de Gustave III vers l’époque de la régénération suédoise. Pleins de verve et d’originalité, au moment où leurs compatriotes imitaient et copiaient maladroitement, ils témoignent que le fond du génie national était assez riche pour se passer d’importations étrangères, qu’il demandait seulement une culture intelligente et une sage discipline. Esprit fantasque et moqueur, riche de ce que les Anglais appellent humour, Wallenberg prodigua dans ses poésies fugitives les saillies et les jeux de mots, et sa verve intarissable dut briller d’un pur éclat auprès des lumières factices du règne de Gustave III. Sans parler de son Voyage aux Indes fort connu de tout le Nord, quelle distance il y avait de la pruderie des poèmes académiques à la gaieté hardie qui déborde dans cette franche déclaration du poète : « Je suis un homme né libre, je ne veux pas me faire l’esclave des grammairiens. Restez sur les bancs des écoles, Quintilien et Donat ; les règles ne sont que des fardeaux morts sur les esprits vivans. Que l’esprit soit son guide à lui-même ! Si vous n’avez pas en vous l’amour du grand, du beau, du naturel, ce n’est pas Aristote qui vous le donnera. Homère n’avait pas lu toutes nos poétiques, et Pline le jeune dit d’un orateur exact et régulier, mais sans élévation ni chaleur : Il n’a qu’un défaut, c’est de n’en pas avoir. — Un visage sur lequel la nature a répandu négligemment ses graces ravit plus les durs que la Vénus toute belle faite au compas. Hélène était-elle une beauté régulière ? Les Grecs eussent été de grands sots de s’arracher les cheveux pendant dix ans pour elle ! »

Voilà quel langage peu classique Wallenberg avait fait entendre dès les premières années du règne de Gustave III ; l’académie des dix-huit combattit énergiquement ces théories ; peu d’années après, elle entendit s’élever une voix plus passionnée encore. Doué d’une imagination ardente, Lidner s’abandonna sans réserve à tous les entraînemens de sa fougueuse nature. Sa vie fut un roman mêlé d’orgies, et sa muse une ménade tirant de sa lyre des chants inspirés ou des cris discordans. Il y a dans sa Médée quelques accens d’une énergie sauvage et plus d’une scène vigoureusement écrite ; mais le caractère de Lidner ne fut pas à la hauteur du talent, et ce poète a prodigué à Gustave III des flatteries excessives, qui ne sont égalées du reste, pour la beauté de l’expression, que par ses vers à la Liberté et par son ode républicaine à Washington et aux Américains.

Moins impétueux que Lidner, mais plus sévère et aussi éloquent, Thorild formula en un système, en une théorie complète ce que Wallenberg avait dit en passant de la liberté nécessaire à la poésie. Indigné