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dans sa jeunesse[1] : « Les rôles, y compris celui du serpent, étaient, dit-il, remplis par des marionnettes. On voyait celui-ci, roulé autour de l’arbre de science, darder sa langue pernicieuse. Hanswurst, après la chute de nos premiers parens, leur adressait des railleries grossières qui divertissaient beaucoup l’auditoire. Deux ours dansaient un ballet, et, au dénoûment, un ange apparaissant, comme dans la Genèse, tirait du fourreau une épée de papier doré, et tranchait d’un coup le nœud de la pièce. »

Reibehand, d’abord tailleur, s’associa à un certain Lorenz pour élever un théâtre de marionnettes. En 1734, il joignit à ses poupées des comédiens vivans. Son association était probablement rompue dès 1728, car nous voyons à cette date Lorenz, directeur des comédiens de la cour princière de Weimar, donner seul à Hambourg une Hauptund Staatsaction, intitulée Bajazet précipité du faîte du bonheur dans l’abîme du désespoir. Reibehand, après bien des vicissitudes, vint en 1752, muni d’un privilège prussien, donner des représentations à Hambourg. Voici une de ses affiches : « Avec permission, etc., on représentera l’Amour maçon (ces mots sont en français) ou le Secret des francs-maçons, que voudrait bien découvrir Isabelle, franc-maçon femelle, poussée par l’humeur curieuse de son sexe ; suivi du Châtiment de la folle ambition d’un cordonnier, qui reçoit le sobriquet de Baron de Windsak, s’enfuit de chez son maître, et finit par passer pour fou. Le spectacle se terminera par un ballet imité de la plaisante comédie de Molière, le Mari confondu[2]. »

Reibehand trouva le moyen de rendre ridicule la touchante parabole de l’Enfant prodigue. L’affiche de la Haupt-Action qu’il fit jouer sur ce sujet était ainsi conçue : « L’Archi-Prodigue, châtié par les quatre élémens, avec Arlequin, joyeux compagnon d’un maître criminel. » L’objet principal de cette pièce était d’offrir beaucoup de spectacle et de changemens à vue. Ainsi les fruits que le jeune prodigue voulait manger se transformaient en têtes de mort, l’eau qu’il s’apprêtait à boire se changeait en flammes ; des rochers se fendaient et laissaient voir une potence avec un pendu. Les membres de ce malheureux, agités par le vent, se détachaient et tombaient un à un sur le sol, puis se rapprochaient et se recomposaient, de façon que le mort se levait et poursuivait le jeune débauché. Ensuite on voyait ce voluptueux déchu réduit à manger des immondices dans la compagnie des pourceaux. Alors le désespoir personnifié se présentait devant lui, et lui offrait le choix entre une corde et un poignard ; mais la miséricorde divine l’arrêtait, et, comme dans la parabole évangélique, le

  1. Schütze, cité par M. Prutz, ibid., p. 207. L’âge de M. Schütze, qui a publié son livre en 1794, s’accorde avec ma supposition.
  2. C’est, comme on le sait, le second titre de George Dandin. Voy. Prutz, p. 220.