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la plus ancienne représentation graphique d’un jeu de marionnettes chez les modernes ; à voir la cotte de mailles et la pose guerroyante des deux figurines peintes par le rubriqueur, il est permis de penser que, du temps de la docte abbesse (c’est-à-dire au XIIe siècle), les récits mis en action par les Tokken-Spieler étaient plus particulièrement empruntés à la vie militaire. Cette supposition très vraisemblable une fois admise, il ne sera pas bien téméraire d’ajouter que les principaux personnages de ces petits drames devaient être les acteurs de la grande épopée nationale, les héros de l’Edda ou des Niebelungen. Lorsque, aux XIVe et XVe siècles, l’adoucissement progressif des mœurs introduisit plus de politesse dans les plaisirs, les Tokken-Spieler puisèrent de préférence la matière de leurs représentations dans les légendes romanesques et populaires qui ont été si souvent imprimées plus tard sur papier gris, à Francfort, dans les Volksbücher, et, chez nous, à Troyes et à Rouen, dans la bibliothèque bleue. Ces récits fabuleux, qui n’ont pas cessé de défrayer jusqu’à nos jours le répertoire des marionnettes de France et d’Allemagne[1], sont principalement Geneviève de Brabant, les quatre fils Aymon, Blanche comme neige, la belle Magdelonne, les sept Souabes, la dame de Roussillon, à qui l’on donne à manger le cœur de son amant et qui se tue de désespoir. Il subsiste un précieux témoignage d’une de ces représentations de marionnettes. Dans un fragment du poème de Malagis, écrit en allemand au XVe siècle, sur une traduction flamande de notre vieux roman de Maugis[2], on voit la fée Oriande de Rosefleur, séparée depuis quinze ans de son élève chéri, Malagis, se présenter, sous un habit de jongleur, au château d’Aigremont, où l’on célébrait une noce. Ayant offert à l’assemblée un jeu de marionnettes, qui est agréé, elle demande une table pour servir de théâtre, et fait paraître deux élégantes poupées représentant un magicien et une magicienne. Oriande met dans la bouche de celle-ci des stances qui retracent son histoire et la font reconnaître de Malagis[3]. Avec le XVIe siècle commence pour les marionnettes populaires un nouvel ordre de sujets ; la foule, dans les foires, n’a plus d’yeux ni d’oreilles que pour la Prodigieuse et lamentable histoire du docteur Faust, écho des légendes du magicien Virgilius et du

  1. Voyez sur ce sujet M. le docteur J. Leutbecher, Der AElteste dramatische… (Le plus ancien drame composé sur la légende de Faust), extrait de l’ouvrage intitulé Ueber den Faust… (Sur le Faust de Goethe, pour l’intelligence des deux parties de ce poème), reproduit dans le Closter, t. V, p. 719.
  2. Ce roman en vers n’existe plus chez nous qu’à l’état de livre populaire en prose ; il est intitulé : Histoire de Maugis d’Aygremont, dans laquelle est contenu comme le dict Maugis, à l’ayde d’Oriande la fée s’amye, alla en l’isle de Boucaut
  3. M. Von der Hagen a publié ce fragment d’après le manuscrit de Heidelberg, n° 340. Voyez Germania ; neues Jahrbuch der Berlinischen Gesellschaft für deutsche Sprache und Alterthumskunde, t. VIII, p. 280. Cette scène ne se trouve point dans notre roman en prose.