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ou du Prussien ; que le patriotisme nous fait une loi de préférer les produits nationaux, même à des prix beaucoup plus élevés ; qu’autrement la patrie serait appauvrie, et que les classes ouvrières surtout privées de travail, tomberaient dans un dénûment extrême. Quelle confiance faut il accorder à ces opinions ?

Tout en aimant passionnément ma patrie, j’avoue que je résiste à étendre la sympathie et le dévouement qu’elle m’inspire aux produits des ateliers ou du sol, et voici mon motif : il me paraît que le bœuf national est celui qui nourrit aux moindres frais les estomacs, bien et dûment nationaux ceux là, de mes compatriotes, et que le fer national est celui que l’agriculteur ou le manufacturier national se procure le plus aisément, c’est à dire en échange de la moindre proportion des fruits de son travail quand bien même ce serait un produit fabriqué au delà des frontières. Ce qui est national, ce sont les populations considérées dans leurs efforts pour produire le plus possible et dans leurs besoins à la satisfaction desquels ces efforts sont destinés. Laissons donc ces qualifications de bœuf national et de fer national ; c’est la résurrection du culte du bœuf Apis, avec lequel il semblait que la civilisation en avait fini depuis long temps. Le grand souci patriotique, qu’à titre de citoyen français, chacun de nous doit ressentir en présence de nos ateliers des champs et des villes, c’est que la proportion entre les efforts et les besoins de nos concitoyens soit aussi favorable que possible à l’humanité souffrante. Il n’y a de bon système commercial que celui qui améliore cette proportion ; tout système qui la vicie est antipatriotique et antinational, quel que soit le nom qu’il porte écrit sur son chapeau.

Mais le tribut à l’étranger ? Je n’en aperçois vestige dans un échange librement consenti entre deux hommes, de quelque nation qu’ils soient, où chacun des deux, précisément parce qu’il a pu choisir en liberté, obtient en retour de sa chose le maximum possible de la chose qu’il désire. Au contraire, si par des lois de douane, on me force à m’approvisionner chez un producteur de fer qui, pour la somme de 100 fr. ne me donne de sa marchandise que 300 kilogr. tandis que, au dehors, j’en eusse trouvé 600, il aura beau être un Français, mon concitoyen : la loi m’en fait le tributaire et je me déclare opprimé. Ainsi les protectionistes, qui se donnent tant de mouvement dans l’intention assurément fort obligeante de nous éviter un tribut à l’étranger, nous dispensent d’un tribut imaginaire, et s’en font servir à eux mêmes un qui est très substantiel pour eux, très onéreux pour nous qui ne leur devons rien.

De nos jours, il est un moyen certain de connaître si les institutions ont de l’avenir, c’est de voir si elles s’accordent avec le principe de liberté et avec le principe de justice. Toute institution qui aura