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autant il se montrait ingénieux à découvrir les qualités, à suggérer des corrections, ou même des idées nouvelles. Tous ses lecteurs sauront combien il fut homme d’esprit, ses amis seuls savent combien il fut aimable et bon.

Pr. Mérimée.


POÉSIES, par M. Charles Fournel[1]. — Les publications poétiques sont assez rares depuis quelque temps. Cela peut passer pour le signe de la défaillance de l’inspiration qu’on a appelée romantique, sans qu’il se manifeste rien, d’un autre côté, qui puisse faire augurer de l’avenir. Il y a quelques années encore, chaque mois, chaque semaine même apportait sa moisson poétique. Bien des jeunes gens qui devaient suivre plus tard des voies diverses, les uns devenir des écrivains d’un autre genre, les autres se jeter dans la politique active, d’autres enfin ; embrasser plus simplement, plus pratiquement les carrières administratives, se croyaient obligés, au début, de déposer leurs premiers rêves, leurs premiers sentimens dans un élégant volume. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi : la brochure politique remplace le livre de vers pour le moment. Ne serait-ce point l’indice d’une transformation qui s’accomplit sourdement et irrévocablement dans les idées sur la poésie ? Quoi de plus vieilli par exemple, de plus suranné aujourd’hui, que cette inspiration intime, purement personnelle, qui était si vive autrefois ? Cette inspiration nous semble avoir des rides, et laisse éclater quelque chose de factice, quand on va la retrouver maintenant chez les maîtres même, et, à plus forte raison, chez leurs imitateurs débiles. Nous devons louer M. Fournel pour deux choses : pour sa fidélité à la poésie d’abord, et en outre pour se tenir en garde contre cette inspiration exclusivement personnelle dont nous parlions. Il faut noter un autre motif d’estime c’est ce titre modeste de Poésies qu’il donne à ses vers. M. Fournel, ne se livre pas une anatomie de son ame, à d’intimes effusions, à de langoureuses confidences. C’est plutôt un esprit distingué qui recherche les conditions de la poésie, qui s’essaie à des combinaisons rhythmiques, et fait passer dans la langue poétique de la France moderne soit des légendes populaires soit des fragmens de poètes étrangers. On peut citer, sous ce rapport, la Romance de Roncevaux, Robin Hood, la Fille de l’Hôtesse, d’Uhland. Il y a aussi d’autres morceaux d’une composition distinguée. M. Fournel est un jeune Français qui vit à Berlin depuis long-temps. Sa tentative prouve qu’en pleine Allemagne on peut ne point cesser de manier avec talent la langue de son pays. Il y a, si nous ne nous trompons, quelque chose de particulier dans des vers français conçus et écrits au milieu des fumées parfois un peu épaisses du teutonisme de nos voisins du Nord.




V. de Mars.
  1. Paris, chez Renouard, 1 vol. in-12.