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où se conserve le goût des plaisirs intellectuels. Chacune de ces petites comédies renferme, dans un cadre très rétréci en apparence, une foule d’observations ingénieuses, des traits d’un naturel exquis et une variété étonnante de caractères esquissés avec tant d’art,.que dans quelques scènes on connaît chaque personnage comme si on l’avait pratiqué pendant des années. Moraliste indulgent et critique enjoué, M. Leclercq, nous a représenté, dans une suite de tableaux de genre, les vices, les travers, les ridicules de tous les temps, mais avec les traits distinctifs de notre époque. Qui n’a connu M. Partout, M. Parlavide, et tant d’autres types excellens qu’on ne pourrait citer sans copier les noms de tous les personnages des huit volumes des Proverbes dramatiques ? – Un certain nombre de pièces sont des satires politiques écrites avec une verve hardie et qui peignent la situation des esprits dans les dernières années de la restauration, car M. Leclercq, bien qu’il eût peu de goût pour la politique, ne pouvait demeurer indifférent aux grands débats qui agitaient la société de son temps. Je crains qu’il ne faille joindre un commentaire aux nouvelles éditions de cette partie de ses œuvres. Tout change et tout s’oublie si vite, dans notre pays, que les grandes passions du public, sous le ministère de M. de Villèle ou M. de Polignac, ne seront bientôt guère mieux connues que celles de la ligue ou de la fronde. Remarquons en passant que la critique de M. Leclercq, pour vive qu’elle soit, ne va jamais jusqu’à l’injure, encore moins à la calomnie. Ses traits sont aigus, mais non pas empoisonnés. Il sait railler, mais il ne sait pas haïr. On commence à savoir ce que c’est que la haine en France. La politique nous a fait ce présent, et elle a tué chez nous la gaieté.

La gaieté est, à mon avis, le caractère distinctif du talent de M. Leclercq ; elle éclate dans tous ses tableaux, même dans ceux où il avait.à reproduire les plus tristes défauts de notre temps. Courier a dit de notre grande nation, que nous ne sommes pas un peuple d’esclaves, mais un peuple de valets. Dans l’Esprit de servitude, M. Leclercq a repris avec moins d’amertume ce vice du Français, tantôt courtisan de Louis XIV, tantôt flatteur du peuple souverain. Ce vieux valet de chambre devenu un bon bourgeois dans l’aisance, et qui regrette son esclavage chez M. le marquis, donne une leçon tout aussi utile et infiniment plus amusante que ne pourrait faire un ministre disgracié ou un tribun oublié de la multitude. — Ce n’est pas seulement dans la peinture des défauts et des ridicules que M. Leclercq a montré son talent d’observation ; l’Honnête homme, comme on disait au XVIIIe siècle, est représenté dans quelques-unes de ses pièces avec des traits qui ne seraient pas désavoués par nos maîtres. Je ne connais pas de peinture plus ravissante du bonheur de la vie de famille que celle que nous a laissée M. Leclercq dans son Château de Cartes. C’est à mon avis un petit chef-d’œuvre de sensibilité et de grace, dont je conseille la lecture à tous ceux qui se trouveront incommodés d’un article de la Gazette des tribunaux, ou d’un premier-Paris dans un journal politique.

M. Leclercq a cessé d’écrire long-temps avant que son talent eût rien perdu de sa puissance et de sa souplesse, mais il aimait toujours à causer de littérature, et suivait avec curiosité et intérêt les essais de ses contemporains. On était sûr de trouver auprès de lui un critique aussi éclairé que bienveillant, sachant, chose rare, se placer à tous les points de vue pour mieux juger l’œuvre qui lui était soumise. Autant d’autres sont empressés à trouver les défauts