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des partis, cette chance, de salut s’appelle la révision de la constitution. Plus on examine de sang-froid l’état présent des choses, plus on se tient en dehors des combinaisons passagères et des caprices de circonstances ou de personnes, plus il demeure acquis et certain que la révision est notre dernier recours ; ce n’est pas malheureusement une raison pour qu’on y vienne. Nous avons montré l’une après l’autre la condition des pouvoirs, les dispositions générales de l’esprit public par où concilier tant de rivalités inconciliables, par où raviver tant de forces ou mourantes ou mortes, si ce n’est en replaçant toutes les prétentions sous le niveau d’une loi respectable, parce qu’elle sera régulière, si ce n’est en rendant à toutes les défaillances, soit morales, soit politiques, l’appui d’un principe déterminé par un assentiment raisonné au lieu d’être enfanté par un jeu quelconque de la violence et du hasard ?

Nous gémissons de ces luttes ou se dépensent sans fruit des esprits éminens, nous en signalons à regret les torts, des torts toujours trop partagés, mais quoi ? il est des situations qui pèsent sur les caractères, des antécédens qui dominent tout ! Pour peu qu’on ait été mêlé aux affaires du pays, quand elles se précipitent et se brouillent comme aujourd’hui, elles peuvent amener telle rencontre où l’on soit cruellement déchiré entre le souci de son honneur privé et le meilleur choix d’une conduite publique. Il faut que les individus et les partis soient enfin à même de dégager leur honneur et de respirer à l’aise dans un milieu qui n’aurait plus rien de blessant ou d’équivoque pour personne, s’il était enfin le produit d’une volonté nationale. Par quelle porte en arriver là, si ce n’est par la convocation d’une nouvelle constituante ? Pourquoi justement est-il trop à craindre qu’on ne s’accorde point pour y passer ? Ceux-ci refusent la révision, parce qu’ils appréhendent les influences du pouvoir en exercice, comme si l’on influençait tout près de sept millions d’électeurs par des procédés administratifs, comme si le pouvoir du président actuel agirait plus sur la nomination d’une seconde constituante que le pouvoir du général Cavaignac n’avait agi sur l’élection du président. Ceux-là se demandent s’ils décréteront la faculté d’une révision ou totale ou partielle et ils la repousseraient plutôt absolument pour sortir d’embarras, parce qu’ils n’entendent pas qu’on mette en question le principe de la république : ils croient à la souveraineté du peuple, mais sous la condition que le peuple croie en eux, et qu’abdiquant son libre arbitre, il jure sur leur parole que la république lui convient à toujours, par cette seule raison qu’elle est la vérité de leur école.

Et cependant le temps coule, le terme approche, et l’on s’expose à voir un jour la constitution réformée d’un coup par quelque scrutin illégal, quand on pourrait prévenir cette irrégularité désastreuse avec un loyal appel à la source suprême de toute légalité, au consentement national exprimé par des mandataires spécialement choisis. Il n’y aura jamais rien de stable dans notre société tant qu’on s’imaginera fonder quoi que ce soit en dehors d’une loi positive, tant qu’on se croira quitte envers sa conscience et envers l’avenir pour avoir invoqué ou interprété dans le sens de son choix une prétendue nécessité de salut public. On pourra travailler ainsi à consolider telles institutions qu’on voudra : sur cette base arbitraire, on pensera fortifier la république ou relever la monarchie ; on aura fait beaucoup moins, même après les plus apparens succès, que si l’on avait seulement réussi à imprimer quelque sentiment de la légalité