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fût aussi populaire, s’il avait fait, toujours avec la même habileté, des faunes et des Apollons, au lieu de faire des Vénus ? L’habileté de M. Pradier est extrême, personne ne la lui conteste ; il en donne encore aujourd’hui une preuve dans sa Toilette d’Atalante. Rien de plus souple que ce corps ployé ; rien de plus délicat que ces bras et ces mains qui se portent en avant pour rajuster la chaussure ; la délicatesse en est même exagérée pour la robuste antagoniste d’Hippomène, et il me semble que M. Pradier n’a guère songé au caractère et au nom à donner à sa statue, qui représente plutôt une Parisienne sortant du bain. En regardant d’un peu près aux statues de M. Pradier, on les trouve bien plus françaises qu’athéniennes, quel que soit le soin qu’il met à les baptiser à la grecque, car il faut bien un prétexte pour promener des femmes toutes nues, et l’on n’en trouve de plausible que dans le dictionnaire de Chompré. Il n’y a pas grand mal à cela, et si nous démêlons un cachet particulier et national aux nombreuses reproductions que M. Pradier édite du même modèle, pourquoi blâmerions-nous chez lui une originalité qui nous charme chez les artistes de la renaissance ? Le grand, le véritable tort de M. Pradier, c’est le tour provoquant qu’il se plaît à donner à ses statues, l’impudeur calculée de toutes ses nudités. La pruderie britannique ne trouvera-t-elle rien de shocking dans l’ajustement de draperies d’une statuette de Médée faite pour la reine Victoria ? Sans être obligé de recourir au moindre voile, M. Pradier eût pu également disposer son Atalante d’une façon plus convenable. Telle qu’elle est, sa place est plutôt dans un boudoir que dans un musée.

M. Jouffroy comprend bien mieux que M. Pradier la dignité de son art. Il a poétisé l’égarement de l’ivesse dans son Erigone, qui, à demi renversée, les bras levés au-dessus de sa tête, presse une grappe suspendue à un cep, et en fait couler le jus dans sa bouche. Ce mouvement, bien saisi et vivement rendu, développe une fière et svelte cambrure et de grandes délicatesses dans le torse ; les attaches des membres sont minces et dégagées, ce qui engendre une grande distinction. On ne comprend pas bien la raison d’un bout de draperie qui enroule la jambe droite. Cette draperie, du reste, est bien traitée ainsi que tous les accessoires, les fleurs, les instrumens de musique posés à terre, et le cep de vigne dont les lignes viennent se raccorder avec les bras et la chevelure flottante.

Le goût distingué et la manière noble de M. Jouffroy se retrouvent à des degrés divers chez MM. Pollet, Loison, Jaley. La Jeune Fille de M. Jaley est pensive, le coude appuyé sur ses genoux, les yeux à demi fermés ; la tête est pleine de grace, et les draperies, d’un bon style, font bien sentir le nu. M. Loison a donné à sa statue d’Héro un caractère tout-à-fait original. Le corps à peine adolescent n’est aucunement voilé