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de voir un jeune sculpteur plein de verve et de fougue, M. Christophe se jeter dans cette voie fatale. M. Christophe connaît son métier d’une façon surprenante ; il modèle avec une sûreté de main et un aplomb qu’on n’a pas d’ordinaire à son âge, témoin les jambes de son Philoctète transporté dans l’île de Lemnos, dont toutes les parties sont savamment étudiées ; mais M. Christophe, dédaignant un mérite trop commun, poursuit, si je puis m’exprimer ainsi, l’éloquence du ciseau. Il voudrait émouvoir, parler à la foule. M. Christophe reconnaîtra qu’il court après l’impossible. En admettant que ce qu’il a représenté sous un pseudonyme grec soit compris du spectateur, la laideur inévitable qu’une passion aussi violente, a imprimée à la tête de sa statue en détruit par avance l’effet, la première condition de l’art étant, nous le répétons encore, l’expression du beau.

Il existe dans l’art des parentés qui, fondées sur le rapport des esprits plutôt que sur la similitude des travaux, n’en sont pas moins très réelles. Si l’on voulait trouver en statuaire un frère à M. Müller ce serait sans contredit M. Clésinger. Rien ne ressemble plus à la peinture de M. Müller que la sculpture de M. Clésinger. Après avoir appliqué leur couleur et leur marbre à des représentations d’un goût et d’une distinction équivoques, tous deux échouent aujourd’hui également lorsqu’ils veulent hausser le mode de leur instrument. M. Müller abordant l’histoire est tombé dans l’anecdote, M. Clésinger entreprenant une Pietà est resté dans le plus pur sensualisme. Est ce bien un Christ, une Vierge, une Madeleine que ces trois corps avinés, vautrés l’un sur l’autre comme de joyeux compères que l’aube du mercredi des Cendres surprend à l’angle boueux d’un faubourg ? Avec quelle sereine intrépidité M. Clésinger s’est jeté dans les sujets de sainteté ! On a fait des bacchantes ; pourquoi ne ferait-on pas des madones` ? Tout n’est-il pas dans un bloc de marbre ? Entre Madeleine pécheresse et Madeleine repentie il n’y a que la différence d’une tunique. C’est là ce qui s’appelle savoir son métier ! Encore cette tunique est-elle ici bien débraillée, de telle sorte qu’on pourrait croire la sœur de Marthe revenue à ses premières erreurs. Dans l’arrangement de ce groupe, rien n’est déterminé par le raisonnement ; tout est combiné d’après des recettes d’atelier. Il n’est pas une ligne, pas un pli de draperie qui ait sa raison d’être dans la nature ou dans le sentiment du sujet. Pour me servir du mot usité, tout cela cherche à vous en imposer par un chic audacieux, et je me plais à reconnaître que nul ne possède à un plus haut degré que M. Clésinger le secret de cette tricherie. Que vous dirai je ? M. Clésinger est parvenu à se donner au public, je ne dis pas à la foule distraite et ignorante, mais à des artistes, à des gens qui s’y connaissent ou du moins qui font profession de s’y connaître ; M. Clésinger est parvenu, dis-je, à se donner pour un ciseleur habile, et il est admis qu’il