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M. Picou a moins de dessin et de science que M. Gérôme ; mais sa fantaisie nous entraîne après lui dans les rêveries d’un naturalisme poétique qui repose des brutalités à la mode. Il sait ce que l’Esprit des nuits porté sur un rayon de lune murmure à l’oreille des jeunes filles, et le soir, quand l’étoile de Vénus se lève au ciel limpide, il erre dans les prés, où une troupe gracieuse, aux tuniques flottantes, cueille la marguerite. M. Gendron, autre poète, s’embarque, en costume de Giorgione, avec des parfums et des chœurs de musique, sur le Lido, embrasé des feux du couchant. Un autre tableau de M. tendron, les Néréides, est d’une inspiration ingénieuse, et dénote chez cet artiste une grande richesse d’imagination.

Parmi tous les artistes dont nous venons d’étudier les ouvrages, il en est peu qui ne peignent aussi accessoirement le portrait, qui n’est point un genre à part, mais une fraction de la grande peinture : nous les avons cités chemin faisant. Un petit nombre seulement paraît vouloir s’appliquer à ce genre d’une façon spéciale. Dans l’appréciation des ouvrages de nos portraitistes, il y a une comparaison intéressante à établir entre les deux manières qui, depuis Florence et Venise, se partagent la peinture, et qui, jusqu’à la fin du monde, continueront à se côtoyer sans jamais pouvoir s’absorber, et en produisant des œuvres également recommandables. Laquelle des deux est supérieure ou préférable à l’autre ? Question à jamais insoluble. Quand on entre dans la salle d’Apollon, au palais Pitti, on rencontre en face de soi le portrait de Rembrandt par lui même, placé entre les deux portraits d’Angiolo Doni et de sa femme Maddalena Strozzi. L’intelligent conservateur de la galerie du grand duc, en établissant ce rapprochement, a peut être cru n’être qu’ingénieux ; il s’est montré profond. Devant ces deux termes extrêmes de la perfection idéale toute querelle est vidée entre le dessin et la couleur ; tout parti-pris, toute préférence s’efface dans une même et foudroyante admiration.

Nous avons donc des portraitistes dessinateurs et des portraitistes coloristes. MM. Amaury Duval, Hippolyte Flandrin et Lehmann se distinguent parmi les premiers. M. Amaury Duval procède par effets heurtés, sa couleur est sombre et lourde. M. Flandrin a fait autrefois des portraits bien supérieurs à celui de MM. D., bien qu’on y trouve les qualités de dessin dont il ne sait en aucun cas se départir. Quant à M. Lehmann dans son envoi au salon de cette année, il est trois portraits qui nous semblent réunir la plus grande somme des qualités qu’il recherche et se ressentir le moins des désagrémens qui accompagnent trop souvent ces qualités. M. Lehmann étudie extraordinairement, il détaille avec beaucoup de soin, quoique sans minutie et avec une rigueur de dessin implacable. Malheur au modèle insignifiant, vulgaire ou blafard qui pose devant lui ! Ce n’est pas la pointe rigide du