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le nom de l’une d’entre elles, la Guanajuateña, la compagne du soldat estropié que nous avons rencontré ce matin même. Je ne sais trop par exemple comment vous faire comprendre l’expédient bizarre qu’imagina la Guanajuateña, un jour de détresse où l’eau manquait à nos artilleurs, pour rafraîchir leurs canons incandescens. Qu’il vous suffise de savoir que la Guanajuateña, secondée par la bonne volonté de ses compagnes, tira ce jour-là notre armée d’une fort mauvaise rencontre, et que, grace à son inspiration très heureuse, sinon bien héroïque, nos batteries pourvues d’eau eurent en peu d’instans fait taire les canons ennemis. Ce fut encore la Guanajuateña qui plus tard, pour donner le change aux Espagnols sur le petit nombre de nos soldats, suggéra l’idée de déployer en ligne toutes ses compagnes avec une pièce de canon sur le front de ce bataillon en enaguas. L’ennemi, trompé par ce stratagème, nous laissa prendre sans nous inquiéter une position avantageuse qui dominait. Zacatecas.

De glorieux faits d’armes allaient cependant interrompre cette série d’escarmouches et nous dédommager des insignifians combats qui avaient rempli les premiers jours de notre retraite. Après l’action dans laquelle le singulier expédient de la Guanajuateña avait assuré la victoire à nos armes, nous fîmes halte dans un endroit appelé Las Animas. C’était un triste spectacle, celui que présentait notre camp ce jour-là. Haletans de soif et de fatigue, nous étions couchés sur un sol jonché des cadavres de nos chevaux et de nos mules de charge. Un lugubre silence planait sur les tentes, troublé de temps à autre par les cris d’angoisse des blessés qui, dans les tourmens de la soif, sollicitaient une goutte d’eau pour rafraîchir leurs bouches enflammées par la fièvre. Quelques soldats couraient comme des spectres parmi tous ces corps, les uns à peine vivans, les autres déjà inanimés. Les sentinelles n’avaient presque plus la force de tenir leurs mousquets pendant la faction autour du camp. J’étais moi-même anéanti, et, pour tromper la soif. J’avais collé à mes lèvres la poignée de mon sabre. Non loin de moi, la femme à qui Albino Conde avait confié la garde de son fils et que j’avais prise à mon service pour exécuter les dernières volontés de mon ancien camarade, récitait en pleurant son rosaire, et priait tous les saints du paradis de faire crever sur nous quelque nuage chargé de pluie. Les saints, malheureusement, n’étaient pas d’humeur à nous écouter ce soir-là, car le soleil se couchait splendide dans un ciel d’une implacable sérénité. Pour moi, je priais Dieu que quelques maraudeurs de ma troupe, qui s’étaient écartés à la découverte de sources cachées, pussent réussir dans leur expédition et surtout ne pas oublier leur capitaine. Dieu fut plus clément que les saints invoqués par la pauvre femme qui priait à côté de moi ; il m’écouta, car je ne tardai pas à voir s’avancer à pas de loup un de nos maraudeurs de retour au camp. C’était l’homme que je vous ai montré, le compagnon de la Guanajuateña.