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l’année dernière. M. Delacroix n’a garde de tomber dans le mélodrame où M. Müller avait donné en plein. Lady Macbeth, couverte d’une ample draperie traînante, se promène, une lampe à la main, sous les voûtes sombres, à quelques pas en arrière, on entrevoit le médecin et la nourrice qui la suivent sans bruit. Voilà Shakspeare dans toute sa vérité et non tel qu’on nous l’avait travesti. C’est bien simple, dira-t-on. Pas si simple, à ce qu’il paraît, puisque, après s’être donné évidemment beaucoup de mal, M. Müller n’avait pu arriver à cette simplicité. Il faut beaucoup de jugement et de savoir pour être naturel. Inutile de louer la couleur de M. Delacroix et l’effet blafard que la lampe, seule lumière de ce tableau, projette sur le personnage principal ; mais là comme dans le Giaour, comme dans tout ce que fait M. Delacroix, on regrette l’absence de lignes un peu plus étudiées, qui donneraient figure humaine aux personnages. M. Delacroix en fait vraiment trop bon marché ; il se borne la plupart du temps à indiquer le mouvement et à colorier. Il ne manque pas d’autorités, je le sais pour affirmer que cela est suffisant, et que les lignes n’existent pas dans la nature : à l’aide de ce paradoxe, on est conduit à dire que M. Daumier, qui marque le mouvement avec beaucoup de précision, est un aussi grand dessinateur que Raphaël. Pour prouver apparemment qu’il ne partage pas ces hérésies et que, tout en ne pratiquant pas il croit cependant à l’existence du dessin, M. Delacroix a fait une étude de femme nue peignant devant son miroir son abondante chevelure d’or ; le diable, caché derrière, me fait l’effet de lui souffler quelque méchant conseil. On peut relever dans cette étude des imperfections de détail, des mains emmanchées d’une façon un peu lourde, des chairs d’un ton bien rougeâtre pour la teinte dorée des cheveux, laquelle caractérise, comme on sait les peaux les plus blanches ; mais l’ensemble est d’une grasse et chaude harmonie. Une belle draperie rouge dans le fond soutient cette gamme opulente.

Nous louerons M. Chassériau pour sa Baigneuse endormie au bord d’une fontaine, qui est d’une grace sévère. Le nu dans ce style-là est rare aujourd’hui. On n’aborde plus volontiers ces grandes difficultés, ou bien on les traite avec une gaillardise qui nécessiterait la salutaire intervention du commissaire de police. On a beau abjurer ses premières croyances, il en reste toujours quelque chose, et fort heureusement pour M. Chassériau le goût de lignes de sa Baigneuse décèle l’ancien élève d’Ingres, qu’on ne retrouve plus d’autre part dans les Cavaliers arabes emportant leurs morts après un combat avec les spahis. Cette composition est assez confuse et manque de netteté. Entre trois ou quatre tableaux de petite dimension dont le coloris haché et dur fatigue l’œil, il est une Femme de Pécheur de Mola di Gaete embrassant son enfant, qui mérite d’être distinguée pour un ressouvenir d’élégance florentine.