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leurs longs fusils les chiens furieux et hérissés qui s’élancent de tous côtés en aboyant. La couleur de ce tableau, quoique d’un bon choix, n’arrive pourtant pas à l’extrême vérité de M. Fromentin, qui reste toujours le plus fort des orientalistes de la peinture.

Faut-il croire qu’un premier succès a tourné la tête à M. Fromentin comme à tant d’autres, et qu’il considère le public désormais comme trop heureux de recevoir les moindres raclures de sa palette ? J’aime mieux penser que M. Fromentin s’est dit : Victoire oblige, et que, dans on empressement à nous procurer de nouveaux plaisirs, il aura sacrifié la qualité à la quantité. M. Fromentin n’a pas moins d’une dizaine de petits tableaux, représentant des scènes du désert, oasis, marabouts, camps, douars et paysages. C’est toujours la même originalité, la même vigueur d’effet ; mais dans quelques-uns l’exécution, déjà si indécise de l’an dernier, devient par trop lâchée. Les Arabes nomades levant leur camp, la Plaine de En-Furchi, ne sont plus que de confuses ébauches tachetées, des marbrures de tons ; le Douar sédentaire au matin est d’un effet plus tranquille. M. Hédouin, l’imitateur fidèle de M. Leleux, paraît, cette année, avoir étudié aussi la peinture de M. Fromentin. Les murailles de sa Place aux Grains à Constantine reflètent de belles lueurs argentées. Sa Smalah est terne au contraire et moins réussie.

M. Bonvin a fait un joli petit tableau représentant l’Intérieur d’une École d’orphelines. La lumière qui l’éclaire, douce, triste, s’harmonise parfaitement avec toutes ces petites robes brunes et ces coiffes noires ; mais pas de dessin. M. Bonvin n’y songe pas plus que les autres. C’est aux mains qu’il faut regarder pour s’en assurer : or il n’y a pas de mains dessinées dans l’École de M : Bonvin, non plus que dans sa Tricoteuse, qui est d’un ton très fin. Les Blanchisseuses, les Tricoteuses et les Cuisinières de M. Édouard Frère n’égalent pas celles de M. Bonvin pour la largeur de la touche ; mais son écolier en manches de chemise qui pioche un thème ou une dictée avec une application si consciencieuse ne manque pas de finesse.

Dans ces triomphes de la couleur, il est à remarquer que les coryphées du genre, M. Diaz entre autres, ont moins de succès cette année. Eh quoi ! nos vénitiens seraient-ils déjà sur le retour, et leur palette baisserait-elle ? Non vraiment. Les mêmes gens néanmoins qui battent des mains aux nouveaux venus commencent à passer plus froids devant les Bohémiens et la Résurrection du Lazare, où il y a infiniment plus de talent, toute proportion gardée. À mesure que l’enthousiasme s’éteint, le jour de la justice arrive. On trouve que M. Diaz est monotone avec ses interminables Cupidons, et qu’avec sa brosse facile, sa dextérité à créer des nichées de petits amours joufflus, il parvient tout juste à tenir en 1851 l’emploi de feu Boucher. On avoue tout bas que