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M. Laemlein, ayant à figurer une vision apocalyptique où quatre génies aux ailes déployées conduisent chacun un attelage sur les abîmes de l’air, s’est appliqué à donner à ses chevaux l’aspect floconneux des nuages au milieu desquels ils galopent. Les génies, les draperies, sont à l’unisson ; le tout semble peint en détrempe, et n’est pas mieux arrêté qu’un décor de théâtre. C’est, à notre avis, mal comprendre les conditions de l’allégorie dans les arts plastiques. Du montent où l’idée devient contingente, elle est forcée de se soumettre aux lois du monde matériel : Un homme est un homme, un cheval est un cheval : peignez-les donc tels que Dieu les a faits. M. Ziégler, qui sait cela, arrête avec une pureté antique la forme d’une gracieuse allégorie qu’il intitule Pluie d’été ; c’est une belle jeune femme aux cheveux entrelacés de perles et glissant d’un pied léger entre les fleurs qu’elle arrose avec une urne de Voisinlieu. Malheureusement, cette figure manque de relief et présente une teinte générale gris-lilas aussi invraisemblable que les chevaux capitonnés de M. Laemlem. Ainsi que le dessin, il faut que la couleur soit vraie. M. Ziégler a aussi entrepris de traduire un dialogue du Cantique des Cantiques entre l’époux et l’épouse « Mon bien aimé est à moi, et je suis à lui ; il paît son troupeau parmi le muguet, etc… » Sans examiner si M. Ziégler a bien compris le texte de Salomon, non plus que M. Laemlein celui de Zacharie (c’est affaire aux glossateurs et hébraïsans), nous n’avons à voir dans ses Pasteurs qu’une belle étude académique et un groupe aux lignes savamment combinées. L’époux et l’épouse, l’un à côté de l’autre sont assis sur un tertre au milieu d’une plaine où le troupeau « paît le muguet ». La jeune femme appuie son bras sur l’épaule du bien aimé et incline vers lui sa tête blonde. Un chien noir accroupi à ses pieds forme le troisième terme de cette combinaison triangulaire. M. Ziégler recherche beaucoup les relations des nombres, et croit que si l’on pouvait retrouver la clé des proportions harmoniques établies par Pythagore dans l’architecture, la peinture, la sculpture, la musique, on ramènerait les arts à leur primitive perfection. Cette théorie, probablement vraie pour l’architecture et la sculpture, ne veut pas être appliquée d’une manière absolue à la peinture, où trop de symétrie empêcherait le mouvement et la vie. Toutefois, en l’état actuel des goûts, il n’y a pas grand péril à la mettre en honneur, et l’on n’a pas à craindre que nos coloristes en abusent. Ils ne sont pas encore près de renoncer aux draperies fripées, aux contours baveux, qu’en haine des tuyaux d’orgue de l’empire ils sont allés emprunter aux Largillière et aux Vanloo. Cette pauvre école impériale ! on la conspue aujourd’hui, et l’on a jusqu’à un certain point raison, car elle a engendré dans les arts un furieux ennui ; mais, quand la réaction sera arrivée à ses dernières limites, on finira peut-être par reconnaître qu’elle avait du bon, qu’elle ne dessinait vraiment pas trop mal. Quand on sera fatigué des ragoûts