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quatre mille hommes, n’hésita point à tenir la campagne avec sa petite armée. Son premier soin fut de battre en retraite vers Zacatécas ; pour atteindre cette ville, il fallait faire cent cinquante lieues dans un pays aride et dénué d’eau, à travers des populations hostiles. Il fallait ensuite s’emparer de Zacatécas, et transformer cette place importante en un centre militaire pour l’insurrection. Cette grande entreprise, menée à bien avec un grand courage et une haute intelligence par le général Rayon, est encore aujourd’hui comptée parmi les plus beaux faits d’armes de sa carrière militaire et de la guerre de l’indépendance.

J’étais du nombre de ces partisans dévoués qui suivirent le général Rayon dans sa longue et pénible marche du Saltillo à Zacatécas. Après avoir assisté, comme vous le savez, aux principales scènes du drame si tristement dénoué à Bajan, je me rendis au Saltillo, où je trouvai le général Rayon prêt à commencer son mouvement de retraite. On se mit en marche le 26 mars 1811, cinq jours après l’emprisonnement d’Hidalgo et de ses compagnons. À peine eûmes-nous quitté le Saltillo, qu’il fallut commencer les escarmouches avec les guerrillas espagnoles. Pendant quatre jours, ce fut une suite de petits combats qui ne nous laissaient aucun repos. Arrivés enfin au Pas de Piñones, nous fûmes arrêtés par la division du général Ochoa. Nos troupes, fatiguées par quatre jours de marche, allaient plier devant la charge impétueuse de l’ennemi, sans l’arrivée d’un de nos chefs, le général Torres. Telle fut l’impétuosité de son attaque, que les Espagnols plièrent à leur tour, laissant avec nos bagages et nos canons, dont ils s’étaient emparés, trois cents des leurs sur le champ de bataille. Malheureusement, nos outres avaient été éventrées, nos barils défoncés dans la bagarre, et nous avions plus de cent lieues à faire encore au milieu de déserts sans sources et sans ruisseaux. Nous traînions avec nous une foule considérable de femmes. Chacun de nous, presque subitement improvisé soldat, avait amené la sienne. Vous ne pourriez vous faire une idée des tortures atroces que nous fit endurer la soif pendant cette longue marche entre un ciel que ne couvrait jamais un nuage et une terre aride que la rosée des nuits ne rafraîchissait même pas.

Le manque d’eau n’étendait pas seulement ses cruels effets aux hommes et aux animaux, il rendait encore inutiles nos armes les plus redoutables. À peine les pièces d’artillerie avaient-elles été chargées et déchargées une ou deux fois, qu’échauffées par un soleil ardent, elles étaient hors de service. C’est dans cet état de faiblesse et de désarroi qu’il nous fallait pourtant soutenir sans cesse des luttes acharnées contre les troupes espagnoles. Heureusement l’énergie morale de notre armée n’avait subi aucune atteinte ; nos femmes mêmes nous donnaient l’exemple du courage, et les vétérans de l’indépendance n’ont pas oublié