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celui de Mme *** en amazone est le plus complet échantillon de son talent. La soie de la robe est assez bien rendue ; mais nous croyons que Mme *** changerait bien volontiers son visage contre sa robe.

Dans la grande peinture, l’école, du mélodrame fait pendant à l’école du laid. Parmi nos peintres d’histoire. M. Müller est le premier… par rang de taille. L’Appel des dernières victimes de la terreur, réduit à de plus modestes dimensions, formerait une vignette très convenable pour une histoire de la révolution illustrée. Disposer avec un grand fracas sur une toile de trente pieds carrés, une multitude de personnage, dans des attitudes violentes ; faire appel à de terribles souvenirs et évoquer les plus fortes passions pour ne produire en somme ; qu’un effet mesquin, cela rappelle, en peinture comme ailleurs, la montagne accouchant d’une souris. Comment M. Müller s’y est il donc pris pour qu’une si redoutable tragédie nous laisse insensibles ? Certes, cela ne tient pas au choix du sujet, un des plus émouvans qui puissent nous être présentés. Le retentissement des sanglots de cette funèbre époque est encore au fond de nos entrailles, et nos mères nous l’ont transmis. On conteste, nous le savons, qu’il soit parfaitement convenable et opportun de reproduire des récits semblables ; pour notre part, nous ne comprenons guère de tels scrupules ; craint on que l’enthousiasme et la pitié ne soient pour les bourreaux ? L’invention de M. Müller n’est donc pas répréhensible au nom de la morale. Au point de vue de l’art, s’est il trompé ? Pas davantage ; cette scène est de celles qui offrent de très belles ressources à la peinture. Nous sommes dans une salle basse de la Conciergerie ; le jour vient d’en haut et favorise les effets de lumière. Une multitude de tout âge et de tout rang encombre la caverne de mort. Il y a là des marquis, des ci-devant nobles, comme dit le Moniteur, des femmes de chambre, des ex-princesses, des prêtres, des officiers, des soldats, des comédiens et des paysans, c’est à dire abondance de types et de costumes pouvant donner lieu aux plus heureuses oppositions. Au milieu de cette foule agitée, morne ou furieuse, un huissier du tribunal révolutionnaire vient, un papier à la main, faire l’appel des condamnés. À chaque nom qui tombe de sa bouche fatale, une grille s’ouvre dans le fond et donne passage à la victime qu’attend le tombereau. Situation imposante, motifs pittoresques, rien ne manquait, et M. Müller n’a pas su profiter de tant de richesses ! C’est que, dans un sujet grand et terrible, il a apporté de petites idées des préoccupations puériles, et qu’à défaut de noblesse il ne se sauve pas par la fougue de l’exécution. Peintre de bambochades et de bergers trumeaux, M. Müller ne comprend pas que des sujets divers veulent des manières diverses, et il vous chiffonne un drame absolument comme il ferait d’une ronde de mai. Ici il a enrubanné la douleur, attifé l’héroïsme, et l’égarement du désespoir lui est