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foncé était en ce moment semé d’étoiles sans nombre ; l’air était tiède ; devant la venta, autour des feux, les muletiers chantaient leurs naïfs refrains ; le son de la clochette des mules nous arrivait mêlé aux frémissemens de la guitare ; les chiens de garde répondaient par de plaintifs aboiemens aux bruits vagues et lointains qu’apportait la brise du soir. En me conduisant dans ce lieu retiré, le capitaine avait jugé, me dit-il, que l’heure était bonne pour reprendre le récit de ses aventures militaires : je me hâtai de lui répondre que je pensais comme lui, et don Ruperto, ainsi encouragé, commença un long récit que J’écoutai sans l’interrompre, assis à ses côtés, sur le canon rouillé, autour duquel les grandes touffes des absinthes sauvages entrelaçaient leurs jets vigoureux et répandaient leurs parfums pénétrans.


I? – EL VOLADERO.

L’exécution d’Hidalgo et de ses principaux compagnons d’armes, me dit le capitaine, clot ce qu’on pourrait appeler la première période de la guerre de l’indépendance. À dater de ce moment, la scène changea complètement : au lieu de masses confuses, quelques bandes bien organisées vinrent occuper le théâtre de la guerre, restreint dans de plus étroites limites. Aidés d’un petit nombre de soldats aguerris, les nouveaux chefs de l’insurrection ne furent plus, comme Hidalgo et Allende, gênés dans leurs manœuvres par des populations entières. On cessa de piller les villes, de ravager les moissons, on respecta les troupeaux, on laissa le commerce reprendre son essor, et la cause de l’émancipation, grace à la prudente attitude de ses nouveaux soldats, compta bientôt parmi ses partisans les riches cultivateurs, les commerçans, les propriétaires des grandes haciendas. Cette organisation militaire de l’insurrection fut un premier pas vers l’organisation politique. Des journaux se fondèrent, pour répandre parmi la population mexicaine les idées libérales et les principes sociaux que le XVIIIe siècle venait de faire triompher dans l’ancien monde. Ce fut là une des armes les plus redoutables parmi celles qui battirent en brèche, depuis la prise d’armes de 1810 jusqu’à la proclamation de l’indépendance, la domination des vice-rois.

Don Ignacio Rayon personnifie cette seconde phase de l’insurrection, comme le curé Hidalgo avait personnifié la première. Après l’arrestation du curé à Bajan, don Ignacio Rayon prit en main le commandement des bandes restées au Saltillo, augmentées des hommes de l’escorte d’Hidalgo qui purent échapper aux soldats d’Elisondo. Bien que son éducation, faite au collége de San-Ildefonso, l’eût préparé à l’étude des lois plutôt qu’à un rôle militaire, don Ignacio s’éleva rapidement à la hauteur de sa nouvelle tâche, et, se voyant à la tête de