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épuisée. Laissons donc de côté ces distinctions fort arbitraires d’ailleurs entre le cœur et l’esprit. L’homme est un, et la vérité aussi ; nul ne peut ni la connaître sans l’aimer, ni l’aimer sans la connaître. La philosophie et la religion auront toujours ; quoi qu’elles fassent, deux grands points communs, l’homme et la vérité, leur sujet et leur objet. C’est plus qu’il n’en faut pour qu’elles se rencontrent à tout instant, et soient obligées de se parler. Il faut entre elles autre chose qu’un échange de politesses et de bons procédés. Une alliance intime, ou un combat acharné est nécessaire ; une neutralité prudente et réservée n’est pas possible.

Prenons garde pourtant, à l’autre extrême. L’alliance n’est pas la confusion, et autant une séparation radicale de la raison et de la foi est impossible à tracer, autant une assimilation complète serait chimérique à poursuivre. Nous nous méfions de toute tentative qui s’annonce pour rendre compte à la raison des mystères de la foi, de quelque part qu’elle provienne, soit d’une philosophie ambitieuse, soit d’une religion spéculative. Nous savons qu’il y a une certaine métaphysique qui n’est jamais embarrassée de donner l’explication de rien, excepté de ses explications même ; nous savons que quand on part de certaines hauteurs, de l’identité de l’être et de la pensée par exemple, ou du moi qui se pose et se détermine lui-même, la théologie scolastique la plus profonde n’est plus qu’un jeu d’enfans. Auprès de Fichte et d’Hegel commentés par un élève de l’école normale, saint Thomas ou saint Anselme parlent la langue vulgaire. Il n’y a pas au-delà du Rhin une philosophie qui se respecte qui n’ait deux ou trois trinités à choisir, et pour qui l’incarnation du verbe divin dans la nature finie ne soit un fait habituel et même le ressort permanent de la création. Le panthéisme a les bras étendus sur l’univers : dans les vastes replis de sa robe, tous les mystères de la religion, la transmutation sacramentelle des substances, la solidarité de la race humaine, jouent en quelque sorte à leur aise. Il y a aussi, à l’arrière-plan de ces systèmes, une sorte de région intermédiaire entre le rêve et l’histoire, peuplée d’êtres demi-fantastiques et demi-réels, où, sous le nom équivoque de mythes, tous les faits miraculeux peuvent prendre honorablement leur place. C’est à ces hauteurs et dans ce crépuscule que la métaphysique a souvent essayé d’opérer le mariage de la foi et de la raison ; mais il a deux grandes difficultés à ces arrangemens, l’une au point de vue de la raison, qu’il est impossible de les comprendre, et l’autre au point de vue de la foi, qu’il est impossible d’y croire. Ces transactions prétendues entre la philosophie et la religion pèchent par les fondemens de l’une et de l’autre, le bon sens et la bonne foi. Tout ce qu’on gagne à ces artifices de logique, c’est de transformer des mystères connus peints depuis long-temps sous de vives couleurs aux imaginations populaires,