Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

située au pied de la Sierra-Madre, nous nous disposâmes à continuer notre route.

— Vous avez là un vigoureux coursier, me dit notre hôte en s’approchant de mon cheval au moment où je mettais le pied à l’étrier.

À la vue de ce corps informe qui rampait pour ainsi dire vers lui, l’animal s’effraya et voulut se cabrer ; mais au même instant le bras de Cureño s’allongea vers lui, et le cheval resta immobile en soufflant de terreur.

— Qu’est-ce donc ? m’écriai-je.

— Ce n’est rien, répondit le vieillard de sa petite voix grêle, c’est votre cheval que je maintiens sous vous.

Je me penchai sur ma selle, et je vis en effet avec un étonnement profond qu’une des jambes du cheval, pressée dans les doigts nerveux de Cureño, était comme rivée au sol par un lien de fer.

— Dois-je le lâcher ? dit l’athlète en riant.

— Si c’est votre bon plaisir, répondis-je à ce Milon de Crotone, car je vois que mon cheval n’est pas le plus fort.

À peine dégagé de cette formidable étreinte, l’animal se jeta de côté plein d’effroi, et j’eus toutes les peines du monde à le ramener près de la hutte.

— Hélas ! dit le vieillard en soupirant, depuis un certain coup de canon auquel don Ruperto que voici a mis le feu, je baisse tous les jours.

— Qu’étiez-vous donc au temps de votre jeunesse, seigneur Cureño ? repris-je.

— Castaños vous le dira, répliqua le vieux soldat, duquel nous prîmes congé aussitôt que le capitaine eut consenti à lui promettre de passer un jour tout entier dans sa hutte au retour.

Après avoir quitté ce singulier anachorète, nous continuâmes à marcher dans la direction de la Sierra-Madre, dont les croupes, les rochers, les pics aigus émergeant du brouillard, commençaient à montrer leurs sentiers sinueux, leurs flancs déchirés, leurs gouffres béans. Nous ne tardâmes pas à entrer dans l’ombre que projetaient devant eux ces gigantesques remparts, tandis que bien loin derrière nous les derniers rayons du soleil doraient les cimes de Tequila. C’est alors que le capitaine me montra du doigt, au sommet d’une plate-forme de la sierra, au-dessous de laquelle des flocons de nuage se roulaient paresseusement, un petit bâtiment carré qui semblait un aérolithe tombé du ciel sur ces hauteurs. Cette espèce de forteresse isolée était la venta dans laquelle nous devions coucher.

Nous fîmes halte au pied de l’immense chaîne de montagnes pour laisser souffler nos chevaux avant de la gravir, et bientôt, aux lueurs incertaines du crépuscule, nous reprîmes notre marche. Nous avions