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échapper en me retirant au Cusco, ne tardèrent pas à venir m’y rejoindre. Un matin, la paisible population de cette ville fut en émoi : le général : Gamarra, grand-maréchal du Pérou ex-président de la république et maintenant chef du parti militaire, venait d’entrer au Cusco, accompagné de Mme la générale dona Panchita Gamarra. L’ex-président me parut un homme usé, mais dona Panchita était pleine de vigueur et d’énergie : elle ne parlait du soulèvement de Lima que les lèvres serrées, et se vantait de donner bientôt aux Liméniennes un bal dont elles se souviendraient long-temps ; il est vrai qu’à Lima on ne l’avait guère épargnée depuis que son mari n’y était plus à craindre, et que les épithètes les plus lestes avaient eu le temps d’arriver à ses oreilles avant qu’elle quittât, la capitale pour rejoindre l’armée dans la sierra. Toute la ville fut bientôt chez Gamarra : c’était une véritable cour en habits noirs.

Le général pressa la levée de nouvelles troupes, et, moitié de gré, moitié de force, obtint de l’argent des autorités et des principaux propriétaires et habitans du département du Cusco. La rapidité avec laquelle les Indiens deviennent soldats est une chose surprenante. Les fenêtres de la maison que j’occupais donnaient, je l’ai dit, sur la place du marché ou baratillo. C’est là que les nouvelles recrues étaient conduites tous les matins pour faire l’exercice. Je les avais vues arriver d’abord avec leur costume indien et un fusil porté comme une houlette ; six semaines plus tard, les conscrits faisaient assez bien l’exercice, chargeaient lestement leur fusil, marcha au pas et savaient obéir aux divers commandemens. Il est vrai que les coups de fouet ne leur étaient pas épargnés. Les officiers instructeurs de l’armée péruvienne portent au lieu de sabre un nerf de bœuf d’honnête apparence : quand un soldat exécute mal l’exercice, l’officier le fait sortir du peloton et lui applique sur les épaules une correction vigoureuse. Le soldat rentre ensuite dans les rangs et continue son apprentissage.

Quelques jours après l’arrivée de Gamarra au Cusco, je me réveillai fort surpris. Les cloches étaient en branle. « Victoire pour Gamarra ! Aréquipa est prise ! » Eh quoi ! Aréquipa, cette jolie ville avec ses gentilles dames qui dansent le : lundou, et ses caballeros qui fument des cigarettes et jouent de la guitare ; Aréquipa était au pouvoir de ces vilains serrannos, gens tristes, rudes et grands buveurs, mais se battant bien ! . — Le fait n’était que trop vrai. Le corps d’armée campé à Vilque s’était présenté aux environs d’Aréquipa. Le général Nieto, qui, depuis la déclaration hostile de Gamarra, s’était emparé du commandement d’Aréquipa, avait, de son côté, réuni tout ce qu’il avait pu trouver d’hommes en état de porter les armes ; mais les chemins de la sierra lui étaient fermés il n’avait pu enrôler que les gens de la côte, moins durs à la fatigue et moins déterminés que les serrannos.