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les Indiens lâchèrent pied, et les Espagnols restèrent maîtres de la place. Cette victoire parut aux Espagnols un fait au-dessus des forces humaines. Après le combat, ils doutèrent d’eux-mêmes et de leur propre valeur, et déclarèrent que, sans la protection de saint Yago, que l’on avait vu écrasant les infidèles sous les pieds de son cheval, et de la Vierge, qui leur jetait de la poussière dans les yeux, ils auraient péri, martyrs de la foi et de leur fidélité pour le roi leur maître. Les Indiens, par amour-propre ou par timidité, crurent à cette intervention des puissances célestes. L’Inca, découragé par le mauvais succès d’une journée où deux cents Espagnols avaient battu deux cent mille Indiens, reconnut en gémissant que le Soleil, son père, était courroucé : il leva le siège, renvoya les Indiens chez eux et se retira avec ses sujets les plus dévoués dans les montagnes de Vilcabamba. À l’endroit même où la Vierge apparut jetant du sable dans les yeux des Indiens, on élever la petite église du Triomphe.

La semaine sainte est au Cusco ce qu’elle est dans tous les pays de la chrétienté elle se passe en sermons, retraites, processions ; il y a aussi lavement de pieds de douze pauvres, miserere, chapelles ardentes dans les églises tendues de noir, etc. La procession du lundi saint est assez bizarre : on porte en grande pompe un énorme crucifix de bois ayant nom notre Seigneur de los temblores (des tremblemens de terre), dans lequel les habitans du Cusco mettent leur confiance et leur espoir pour les protéger des tremblemens de terre qui ruinent si souvent les villes de la côte, et qui ont épargné le Cusco depuis la possession du crucifix merveilleux. Vingt-sept hommes ont de la peine à le porter ; parmi le peuple, c’est à qui aura cet honneur, et, tout le temps que dure la procession, ce n’est autour du brancard que cris, coups de poing, injures et bourrades de la part des fidèles, pour la plupart ivres d’eau-de-vie et de chicha. Quand le cortége est arrivé devant la cathédrale, on frappe violemment à la porte principale ; l’église s’ouvre, et les porteurs du crucifix font mine d’y entrer. Alors la foule assemblée sur la place pousse des cris et des gémissemens : « Christ, tu veux nous quitter ; oh ! reste avec tes enfans ! Judas de prêtres, canaille qui ouvrez la porte de l’église, fermez-la, que notre Christ nous reste ! » La porte se referme ; cris de joie et d’enthousiasme pour les prêtres, qui veulent bien rendre le Christ. Nouveaux coups frappés à la porte, qui s’ouvre une seconde fois ; le crucifix s’avance ; mêmes cris de rage, même fermeture de porte. Ce n’est qu’à la troisième fois qu’il entre bout de bon, et les cris de désespoir poussés par la multitude font trembler la place. Les balcons des rues où passe la procession sont encombrés de dames qui jettent des fleurs et des feuilles de roses sur le passage de nuestro Señore de los temblores.

Cependant les préoccupations politiques auxquelles j’avais cru