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en retour, paie 4 piastres de leur tribut et concède à chaque cultivateur une étendue de terrain de vingt-quatre vares de long sur vingt de large ; la vare équivaut à peu près à trois de nos pieds, ce qui fait soixante-douze pieds de long sur soixante de large. Ce mode de salaire, à l’arbitraire près, paraît au premier coup d’œil assez raisonnable, surtout si l’on admet ce principe de la conquête, que la terre appartient à l’état ou à ceux à qui l’état la concède ; mais, malheureusement, l’application est aux mains des propriétaires, qui paient ou ne paient pas les 4 piastres ou les paient en effets de moindre valeur, qui naturellement gardent les meilleures terres et ne donnent aux colons indiens que celles dont la culture ne leur promet aucun profit. J’ai vu bien des haciendas ; toutes sont mal cultivées ; le soc des charrues est en bois et gratte à peine la terre. Les cultivateurs dédaignent le fumier des bêtes à cornes qu’ils disent mauvais, et n’emploient pour engrais que celui des bêtes à laine, moutons et llamas. Les prairies artificielles sont à peine connues, et le mode de culture reste de tout point le même que celui qui a été introduit avec la conquête, en 1530.

De l’île de Titicaca je passai à celle de Coati, à trois lieues du rivage. Cette île était regardée autrefois comme sacrée, parce qu’elle appartenait aux domaines réservés pour les frais du culte du soleil. Les produits étaient vendus dans tout l’empire comme possédant des vertus particulières. Aujourd’hui, la grande vertu du sol est de donner d’énormes pommes de terre d’un goût exquis. L’île peut avoir une demi-lieue de longueur ; elle avait appartenu à un Anglais qui, lors d’un tremblement de terre à Arequipa, s’était laissé écraser sous un balcon.

Mes excursions sur le lac terminées, je vins me reposer à Copacabana. Une dame de la ville m’envoya prévenir, selon l’usage, que sa maison était à ma disposition. J’allai remercier, et elle me pria de passer la soirée chez elle. À huit heures du soir, je vis entrer dans le salon un plateau couvert de porcelaine avec un thé complet, lait, tartines de beurre. Un thé à Copacabana, au fond de la Bolivie, à quatre mille et tant de lieues d’Europe ! La dame du logis avait quelque peu de littérature ; les chanoines lisaient par désœuvrement, et, après la vie et les miracles de nuestra Señora de Copacabana, ce qui leur plaisait le plus à tous, c’étaient des romans traduits du français en espagnol. « Et que devint Corinne après que lord Oswald l’eut quittée pour retourner en Angleterre ? » me demanda en minaudant la dame du logis. Je répondis ce que l’on répond quand on ne comprend pas bien le sens d’une question : « Mais, madame… certainement… » Ceci ne contenta personne, pas plus les chanoines que la dame ; on me pressa de répondre, et je me fis poser nettement la question : on voulait savoir si Oswald avait épousé la Corina ou la Inglesa. Je dis alors qu’il était à la connaissance