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Titicaca. Ma première étape fut à Aigachi, gros bourg d’Indiens où je descendis comme à l’ordinaire chez le curé de l’endroit. Le curé d’Aigachi me fit attendre un gros quart d’heure avant de faire honneur à la lettre d’introduction qu’on m’avait donnée pour lui. Enfin il parut, et, tout en grognant, me fit entrer dans sa maison. L’abbé finissait de dîner ; trois joyeux convives étaient là, buvant des rasades d’eau-de-vie et accoudés sur une large table où restaient plusieurs couverts précipitamment abandonnés. Je vis que j’étais arrivé dans un malencontreux moment, que ma présence avait fait envoler la partie féminine de la compagnie. Deux ou trois têtes à cheveux bouclés, passant l’une au-dessus de l’autre à travers une porte entrebâillée, m’expliquèrent plus clairement la chose, et le curé ne revint à sa bonne humeur naturelle que lorsque, refusant de faire desseller mes mules je lui demandai un guide pour me conduire à l’hacienda de Cumana, où je savais trouver de nombreuses chulpas (tombes). Le curé me pria de lui raconter mon histoire, et, comme il ne me plaisait pas de le faire, il me raconta la sienne. Il avait fait les guerres de l’indépendance et se trouvait capitaine lors de la fin des hostilités ; son frère, nommé député à l’assemblée nationale, lui fit entendre qu’il n’était plus jeune et qu’il fallait songer à l’avenir : le capitaine trouva l’observation juste, et son frère le député lui procura la paroisse d’Aigachi, « où je végète comme un paysan, ajouta t-il, mais où je me fais chaque année un revenu de 5 à 6 000 piastres. »

J’allai coucher à la ferme de Cumana. Les maîtres de l’hacienda étaient absens et l’on me donna pour logis un magasin rempli de laine, sur laquelle je dormis plus mollement que je n’avais pu le faire depuis trois mois. Il y a dans ce pays une croyance généralement admise, c’est qu’on aperçoit des flammes au-dessus des endroits où des trésors sont enfouis. Quand je demandai à l’intendant de la ferme quelles étaient les chulpas du voisinage qui n’avaient point encore été ouvertes, il me répondit qu’il me montrerait les chulpas où la flamme brillait, et me procurerait des Indiens pour faire les excavations. Au matin, je commençai les fouilles. Entre les montagnes et le lac, sur un espace de cent toises, la plaine est couverte de tumulus : ce sont des amoncellemens de terre et de pierres de quinze à vingt pieds de longueur sur une largeur de dix à quinze pieds, et sur une hauteur de cinq à dix. Les pierres qui recouvrent le sommet sont amoncelées sans ordre aucun, mais bientôt l’on rencontre une maçonnerie solide et régulière, recouvrant un puits de trois à quatre pieds de hauteur sur deux ou trois de diamètre. Dans un de ces puits, j’ai trouvé une momie d’enfant entourée de ligamens de paille, au lieu de ligamens en étoffe de coton, comme celles que j’avais vues au musée de la Paz. J’eus peu de temps pour l’examiner car, deux minutes après avoir été exposé à