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vice-rois et par les patriotes, les maîtres du sol dont disposait Bolivar avait passé de l’indifférence au dégoût pour les deux partis. Quant aux acteurs mêmes de la lutte, ils s’étaient si souvent trouvés vaincus ou vainqueurs, ils avaient été obligés de recourir à tant de petits et misérables moyens, qu’il leur était impossible d’avoir foi dans aucune forme de gouvernement. République une et indivisible, république fédérative, c’était tout un pour eux. La séparation de la Bolivie fut sanctionnée par le congrès de Lima, et le général Sucre fut élu presque par la convention nationale bolivienne. Deux ans après, Bolivar, rappelé en Colombie par la révolte d’un de ses généraux, dut quitter le Pérou, et avec lui disparut la puissance du général Sucre. Ses actes les plus nécessaires furent traités par les Boliviens d’actes injustifiables et le tyran, fort dégoûté du pouvoir prit le parti de renoncer aux ennuis de la présidence. Il donna sa démission, et, alla rejoindre Bolivar eu Colombie. Il est bon d’ajouter qu’au moment où il allait s’embarquer au port de Cobija quelques citoyens rancuneux firent une petite émeute, à la simple fin d’assassiner le général ; mais Sucre parvint à s’embarquer, et tout ce que purent faire ses administrés reconnaissans fut de lui tirer un coup de pistolet qui lui cassa le bras.

C’est par ces tristes scènes qu’avait commencé l’histoire de la Bolivie. Au moment où je parcourais son territoire, la république fondée par Bolivar jouissait d’une de ces périodes de calme qui viennent trop rarement interrompre la vie fiévreuse des petits états de l’Amérique espagnole. Le moment était bon pour observer les mœurs boliviennes dans ce qu’elles ont d’original et d’invariable. La capitale officielle de la Bolivie est Chuquisaca ; mais la ville la plus importante, comme entrepôt de commerce, et qui réunit le plus de familles aisées, c’est la Paz. La Paz est irrégulièrement jetée sur les deux pentes d’un torrent qui jadis charriait de l’or, et ses maisons massives, recouvertes en tuiles rouges, s’élèvent avec peu de symétrie les unes au-dessus des autres. Le nom de la bourgade indienne primitive était Chuquiapo, terrain d’or. La ville espagnole fut fondée, en 1548 par don Alonzo de Mendoza, et ses premiers habitans furent des mineurs. Le lit du torrent rendait autrefois annuellement une quantité considérable d’or. Maintenant il est épuisé dans la majeure partie de son cours, et les laveurs d’or les plus hardis, abandonnant les pauvres exploitations qui se continuent dans le voisinage de la ville, ont transporté leurs pioches et leurs sébiles à soixante lieues dans l’intérieur, au milieu des forêts vierges. Le lavage aurifère qui rend le plus aujourd’hui est celui de Tipuano, qui rapporte chaque année 200 000 piastres à ses propriétaires. C’est peu de chose, comparé à ce que rapportait jadis le torrent de Chuquiapo. Ce qu’il y a de sérieusement beau à la Paz, c’est la vue de l’Ilimanli, montagne de 3 753 toises de haut et à huit lieues