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de véritables comédies, car le poète comique doit attaquer les vices et les ridicules de son temps. Ce n’est pas en nous transportant dans le siècle de Périclès, dans le palais de Clinias ou de Laïs, qu’il peut espérer d’agir puissamment sur l’auditoire. Mucarade, Clorinde et don Annibal sont tout simplement des personnages traditionnels rajeunis par une fantaisie ingénieuse ; il m’est impossible de voir en eux l’image d’un temps déterminé. J’ai dit pourquoi le Joueur de flûte, malgré les qualités que je me plais à reconnaître dans plusieurs passages, est au-dessous de la Ciguë et de l’Aventurière. Il y a dans la Ciguë, dans l’Aventurière, un plan, une composition, une pensée nette et facile à saisir, qui s’annonce, qui se développe, qui sert à nouer, à dénouer une action. La pensée du Joueur de flûte demeure confuse. Si l’auteur a voulu nous peindre la courtisane amoureuse, et je crois qu’il serait difficile de lui prêter une autre intention, il n’a pas accompli sa volonté assez franchement, assez simplement pour que nous puissions la juger avec une entière sécurité. Bien que Laïs, en effet, soit le personnage principal, Bomilcar et Psaumis tiennent tant de place dans cette comédie, le caractère de Chalcidias est dessiné avec tant d’indécision, qu’il est permis de se demander si l’auteur n’a voulu nous peindre que les souffrances de la courtisane amoureuse.

Quant aux deux comédies que M. Augier a tirées de la vie réelle, je les mets fort au-dessous de la Ciguë et de l’Aventurière. Les applaudissemens obtenus par Gabrielle ne sont pas, à mes yeux, un argument victorieux. Le public a eu raison d’applaudir le talent que l’auteur a montré dans Gabrielle, mais il a eu tort de préférer Gabrielle à l’Aventurière, c’est-à-dire la peinture incomplète de la réalité à la peinture ingénieuse et animée d’un monde consacré par une longue tradition et rajeuni par la fantaisie.

Quel rang faut-il donc assigner à M. Augier ? Si la comédie, comme je le pense, doit se proposer la peinture de la vie réelle, est-il permis de classer parmi les poètes comiques l’écrivain qui, depuis sept ans, a toujours été plus heureusement inspiré par la fantaisie que par le souvenir des vices et des ridicules que nous coudoyons ? Si l’auteur était moins jeune, nous devrions le juger avec sévérité ; mais il a tant d’années devant lui, que notre sentence doit se présenter sous la forme de conseil. Oui, sans doute, la fantaisie la plus ingénieuse, le style le plus coloré ne sauraient, chez un poète comique, remplacer l’étude et la peinture de la réalité, car la comédie vit de réalité ; mais, lorsqu’il s’agit d’un poète de trente ans, qui a déjà donné des gages si heureux, il faut se rappeler la pensée si bien exprimée par un écrivain de l’antiquité justice absolue, souveraine injustice. M. Augier ne connaît pas les hommes et les choses de notre temps comme devrait les connaître un poète comique. Il paraît avoir étudié les traditions de la comédie beaucoup