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la comédie, ne dispenserait pas le poète de l’unité de style. Que chaque personnage parle selon son rang, selon son rôle ; qu’Agnès et Horace, Alain et Arnolphe expriment leur pensée chacun à sa manière, rien de mieux, j’y consens, et, pour le trouver mauvais, il faudrait fermer l’oreille aux conseils de la raison ; mais greffer la langue d’Alain ou d’Arnolphe sur la langue d’Agnès ou d’Horace, mettre dans la bouche de Clitandre les paroles de Chrysale ou de Martine, c’est un caprice que le bon sens ne saurait avouer ; lors même que les applaudissemens du parterre viendraient protester contre la sentence prononcée par le bon sens, je n’hésiterais pas à suivre l’exemple de Caton : j’épouserais la cause vaincue. Le procédé adopté par M. Augier, suivi avec persévérance depuis sept ans, n’est pas un hommage rendu à Molière, mais une violation constante des lois posées par l’auteur des Femmes savantes. Vouloir en toute occasion mêler la langue d’Aristophane avec la langue de Ménandre, la langue de Plaute avec la langue de Térence, ce n’est pas se montrer fécond et varié, c’est afficher un dédain superbe pour les conditions fondamentales du style comique. Si le style de la comédie exige plus de souplesse et de familiarité que le style de l’épopée ou de la tragédie, la souplesse et la familiarité ne doivent pas être confondues avec les dissonances, et M. Augier gâte comme à plaisir ses meilleures inspirations par l’abus des dissonances. Des amis aveugles pourront lui dire qu’il y a dans la réalité triviale opposée à l’idéal poétique un élément de succès, et lui présenter comme des scrupules puérils les conseils que je lui donne ; l’avenir prononcera. Je ne crois pas que l’unité de style entrave en aucune occasion l’allure de la comédie, car je ne confonds pas, je n’ai jamais confondu l’unité de style avec l’uniformité des personnages : ce que j’ai dit tout à l’heure ne laisse aucun doute à cet égard. Que chaque personnage demeure fidèle à son caractère, qu’il parle selon ses passions, ses intérêts ; qu’il garde en même temps la langue de sa condition, de ses habitudes, qu’il n’essaie pas d’étonner l’auditoire en prononçant des paroles qui n’ont jamais dû passer par ses lèvres. C’est là un caprice qui peut amuser quelques esprits blasés, et qui tôt ou tard ne manquera pas d’être sévèrement blâmé ; c’est un grain de poivre qui chatouille le palais dont la sensibilité s’est émoussée, — ce n’est pas un mets vraiment savoureux, une chair succulente et saine, et de telles aberrations, protégées d’abord par l’ignorance et l’aveuglement, seront bientôt jugées comme elles méritent de l’être. Le contraste permanent de l’idéal et de la réalité descendra au rang des lieux communs.

Dans les cinq comédies que M. Augier a écrites depuis sept ans, il n’a jamais abordé franchement les devoirs du poète comique. La première, la troisième et la cinquième relèvent directement de la fantaisie, et, malgré le talent qui les recommande, ne peuvent être acceptées comme