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porté au roi par l’évêque de Noyon, pair ecclésiastique. Ce mémoire était conçu dans les termes les plus pathétiques ; les justes alarmes des grands du royaume y étaient dépeintes avec une vive énergie. Les supplians invoquaient en leur faveur tous les souvenirs de l’histoire à partir de François Ier : on peut bien penser que les Guise et la ligue n’y étaient pas oubliés. Le roi suspendit sa décision quatre jours : qu’on juge de l’attente publique pendant ce délai ! Enfin Louis XV fit une réponse évasive ; il en appela à la fidélité, à la soumission, à l’attachement, et même, selon ses propres expressions, à l’amitié de sa noblesse. Malgré cet appel, le pouvoir royal faillit essuyer un échec. Pendant toute la matinée qui précéda le bal, les dames nommées pour le menuet affectèrent de traverser la galerie de Versailles en chenille. Le roi se fâcha tout de bon ; il parvint enfin à se faire obéir, à la vérité, au moyen d’un mezzo termine. Mlle de Brionne dansa immédiatement après les princesses du sang ; mais son frère, M. de Lambesc, n’eut son menuet qu’après Mme de Laval ; menée par M. le comte d’Artois. Heureux temps où c’étaient là des affaires d’état !

Ce même prince de Lambesc, connu à Vienne sous le nom du prince Charles de Lorraine, y est mort, il y a peu d’années, le dernier de sa race, au service de cette branche aînée de sa maison, que les Guise avaient protégée, qu’ils avaient même dédaignée quelquefois, et qui, sans déloyauté, sans intrigues, simplement par le cours des événemens, était montée à ce faîte de grandeur où ses orgueilleux cadets avaient vainement essayé de parvenir.

Ainsi finit de nos jours dans l’oubli et dans l’ombre la postérité de « ces guerriers héroïques, de ces politiques audacieux et profonds, champions intéressés de la foi, défenseurs et tour à tour compétiteurs de trônes, derniers représentans, sinon de la féodalité, du moins d’une aristocratie énergique et menaçante. » Leur historien ; qui les avait si bien caractérisés en commençant, a achevé son entreprise avec une persévérance et un talent couronnés par le plus légitime succès. Quoiqu’il y eût une difficulté réelle à détacher la biographie des ducs de Guise du fond commun des annales de la France, à les séparer en quelque sorte de l’ensemble des événemens auxquels ils ont pris tant de part, le marquis de Bouillé a surmonté cet obstacle, presque toujours avec bonheur. Il a donné à notre littérature une monographie importante qui lui manquait, et on lui saura gré d’avoir raconté noblement les anales d’un temps mémorable où, parmi tant d’autres personnages consacrés par l’histoire, ses ancêtres avaient vaillamment combattu.


ALEXIS DE SAINT-PRIEST.