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naturellement ; — ce qui ne l’empêche pas d’être l’un des plus grands écrivains de la langue française, presque un Tacite, et bien certainement un Labruyère ample et naturel, par conséquent bien supérieur à Labruyère, ce dont personne ne se doutait et M. de Saint-Simon moins que personne. Son orgueil n’était pas là.

Il serait curieux, mais trop long, de reproduire les portraits des femmes de la maison de Lorraine tracés par l’immortel auteur des Mémoires. Tout s’y trouve, depuis la grace la plus attrayante jusqu’à la plus sanglante caricature, depuis l’Albane jusqu’à Callot, car cet écrivain sans le savoir assortit toutes les couleurs, prend tous les accens, possède tous les tons. Cette galerie s’ouvre par Mlle d’Alençon (Élisabeth.d’Orleans). Petite file de France, issue en ligne directe d’Henri IV, elle avait daigné épouser le dernier duc de Guise, alliance bien plus éclatante que toutes celles des ancêtres de ce prince, mais qu’il fit, on va voir, à quel prix « M. de Guise n’eut qu’un pliant devant madame sa femme. Tous les jours, à dîner ; il lui donnait, sa serviette, et dès qu’elle l’avait déployée, M. de Guise debout, Mme de Guise dans un fauteuil, elle ordonnait qu’on lui apportât un couvert qui était toujours prêt au buffet. Ce couvert se mettait au bout de la table, puis elle disait à M. de Guise de s’y mettre, et il s’y mettait. Tout le reste était observé avec la même exactitude, et cela recommençait tous les jours sans que le rang de la femme baissât en rien, ni que, par ce grand mariage ; le rang de M. de Guise en ait augmenté de quoi que ce soit. Il mourut de la petite vérole à Paris en juillet 1671, et ne laissa qu’un seul fils qui ne vécut pas cinq ans, et qui mourut à Paris en août 1675. Mme de Guise en fut affligée jusqu’à en avoir oublié son Pater. » Ainsi finit la branche aînée, la grande branche de la maison de Guise[1], après avoir été représentée pendant quelque temps par une vieille princesse qui n’avait jamais, été mariée, du moins publiquement, car on croit que Mlle de Guise avait épousé en secret Claude de Bourdeilles ; comte de Montrésor, célèbre par ses mémoires ; mais la branche d’Elbeuf-Harcourt-Armagnac restait encore pour fournir, des modèles à l’inimitable pinceau de Saint-Simon, plus brillant, plus éclatant, plus vrai que ne le furent jamais les peintres ses contemporains et ses émules : les Mignard, les Rigaud et les Largillière.

Voici d’abord Mme de Lillebone. « Elle logeait avec toute sa famille à l’hôtel de Mayenne, ce temple des guerres civiles. Les Lorrains y avaient consacré le cabinet dit de la ligue, sans y avoir rien changé,

  1. Après avoir passé par la grande Mademoiselle aux ducs du Maine et de Penthièvre, leur héritage échut à la maison d’Orléans ; de là les noms d’Aumale, de Joinville, d’Eu, de Penthièvre, portés par les princes de la branche cadette de la maison de Bourbon, et le nom même de duc de Guise donné à un enfant de M. le duc d’Aumale qui mourut presque en naissant, peu de temps avant la révolution de février.