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Le roi fit changer la chaise en tabouret exhaussé et appuyé. Alors M. de Saint-Simon entonna un hymne de louange, et s’écria : « D’un rang supérieur, Vaudemont est réduit enfin au rang de cul-de-jatte ! »

Il y eut une autre circonstance bien plus importante encore où l’audace des guisards s’étala dans toute son horreur et mit toute la cour en émoi, du moins à ce que prétend toujours Saint-Simon, très suspect en pareille matière. On avait toujours cru que la cour de Louis XIV était un lieu assez discipliné ; qu’à part la galanterie, il y régnait peu de désordre, et qu’il n’y en avait aucun surtout qui prît sa source dans la politique. On s’est trompé. Les seize y étaient revenus avec les Guise. L’audace de la maison de Lorraine n’avait plus de bornes ; partout, à la communion du roi, à la cérémonie de l’ordre, au grand et au petit coucher, les princes lorrains les princesses lorraines s’efforçaient de prendre le pas sur les duchesses et les ducs. Enfin les choses en étaient arrivées a ce point que subrepticement d’abord, à l’aide d’une dame d’honneur « . basse, de fort peu d’esprit, et qui laissait tout entreprendre, ». les princesses prirent le pas sur les duchesses et quêtèrent avant ces dames à la chapelle ! Un tel attentat faillit remettre le feu aux quatre coins du royaume, comme au temps du massacre de Vassy ou des états de Blois. Heureusement M. de Saint-Simon était là pour sauver la France. Il se conduisit en héros ; il devint le Coligny de cette guerre civile. À la vérité, il n’était pas question de livrer bataille, mais simplement d’aller se plaindre au roi. Aucun des ducs n’osa s’y hasarder, ou ne voulut se donner le ridicule d’une telle ambassade. M. de Saint-Simon se dévoua ; il comparut seul devant l’antre du lion, c’est-à-dire à la porte du cabinet de Louis XIV, ce qui dans le fond n’était guère moins imposant. Le lion se tenait bénignement dans l’embrasure d’une fenêtre. Il avait l’oreille un peu dure et se baissa pour mieux entendre le solliciteur, probablement un peu tremblant, quoiqu’il assure le contraire ; puis sa majesté releva la tête d’un air gracieux comme pour dire : « C’est fort bien, il n’y a pas de mal à cela. »

Grace à l’héroïsme de M. de Saint-Sirnon, la chose se passa à merveille pour les ducs. Les princesses, pirouettant à.leur tour, — furent forcées de reprendre la gauche et même de demander pardon aux duchesses ; mais, comme il est difficile de garder quelque mesure dans le succès, le champion de la pairie ne triompha pas modestement. Il se mit à parler en toute liberté sur les Lorrains, sur leur ambition, sur leurs entreprises ; il affronta M. le Grand en personne, passant, repassant d’un air fier devant lui, le regardant du haut en bas, le narguaut, le toisant, ce qui devait faire un étrange spectacle, car M. de Saint-Simon n’était ni un Goliath ni un Antinoüs ; « ma figure, dit-il lui-même quelque part, n’était pas avantageuse. » On sait par tradition qu’enseveli dans sa perruque, il était quelquefois obligé de l’ôter, parce que sa tête fumait