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déclare son champion contre tous venans. Dans cette circonstance peu héroïque, le nouvel historien des Guise ne laisse pas d’être embarrassé de son héros ; mais ce qui ne l’embarrasse pas un seul instant, c’est de flétrir autant qu’elle le mérite la conduite de ces odieux tyrans après la découverte du complot d’Amboise. M. de Bouillé nous montre sans aucun déguisement l’horrible spectacle des nombreux supplices ordonnés par les Guise, « les cadavres que la Loire roulait avec ses flots, le sang qui ruisselait dans les rues et sur les places, et qui, au lieu d’apaiser le mécontentement par une terreur passagère, aiguillonnait profondément les rancunes, et ne faisait qu’ouvrir la source du carnage dont, pendant tant d’années, le sein de la France devait être inondé. » Il nous dépeint enfin avec une vérité frappante toutes ces exécutions auxquelles le cardinal de Lorraine condamna les yeux de la duchesse de Guise évanouie de terreur, et que le duc eut le tort injustifiable de couvrir de son épée : connivence flétrissante pour sa mémoire, qui ne peut être comparée qu’à la conduite de certains membres modérés du comité de salut public, trop occupés de plans stratégiques pour ne pas signer de confiance les arrêts de mort dressés par leurs exécrables collègues.

Ayant ainsi rétrogradé dans le sang de douze cents victimes, mais sans perdre un instant de vue leur projet d’extermination de la maison de Bourbon, les Guise demandèrent à la trahison la sentence du prince de Condé. Ils étaient bien décidés cette fois à englober le roi de Navarre dans le crime vrai ou présumé de son frère. L’histoire n’a pas prononcé sur la culpabilité de ce dernier. Après avoir repoussé et hâté les états-généraux avec l’incertitude et l’hésitation qui présidaient à toutes leurs démarches, à toutes leurs pensées, les Guise résolurent néanmoins d’en profiter pour perdre leurs rivaux, attirés par des promesses fallacieuses. Antoine et Louis de Bourbon se rendirent à Orléans, où François II venait de convoquer les états. Là leurs adversaires les firent arrêter, résolus de faire marcher de front le jugement du prince de Condé et l’assassinat du roi de Navarre. Et qui avaient-ils choisi pour donner le signal de ce meurtre ? François II lui-même, prince de seize ans, le parent, le neveu de la victime désignée[1] ! L’enfant-roi n’ayant pu venir à bout de la tragique leçon que ses maîtres lui avaient soufflée, François de Guise, caché derrière la porte, s’écria avec dépit : « .Oh ! le pauvre sire que nous avons là ! » Il faut l’avouer, ce mot ne ressemble guère aux paroles magnanimes prononcées au siège de Rouen, et que la poésie a consacrées. On conçoit sans peine que M. de Bouillé soit fortement tenté de nier cette anecdote, malgré

  1. François II était le neveu, à la mode de Bretagne, du roi de Navarre par Jeanne d’Albret, femme d’Antoine de Bourbon et fille de Marguerite de Valois, par conséquent propre nièce de François Ier.