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Condé, dépouillé du gouvernement de Picardie donné au maréchal de Brissac, fut envoyé en Flandre sous prétexte de porter au roi d’Espagne l’ordre de Saint-Michel, et, pendant que son frère cadet courait sur la route de Flandre, le roi Antoine s’acheminait vers Madrid, chargé d’y conduire la jeune Elisabeth de France, récemment mariée à Philippe II. Un tel emploi était indigne du rang d’Antoine de Bourbon et bien dégradant pour sa personne, puisque c’est d’Espagne qui avait dépouillé la maison d’Albret de la meilleure partie du royaume de Navarre. Il est vrai que l’occasion de débattre ses intérêts à Madrid avec Philippe lui-même avait servi a colorer l’inconvenance d’une telle mission. Encore ce prétexte manqua-t-il au pauvre prince, qui, au lieu d’aller jusqu’à Madrid, ne reçut pas même la permission de passer la frontière. Un si sanglant affront lui avait été ménagé par les Guise, entièrement dévoués à l’influence espagnole. C’est en 1558, à Péronne, après la guerre de Naples, et pendant les préliminaires du traité de Cateau-Cambrésis, que les princes lorrains, jusqu’alors les adversaires de Philippe II, s’étaient constitués ses serviteurs et ses cliens. Le vieux cardinal Granvelle avait fait comprendre au cardinal de Lorraine qu’étrangers en France, en butte à la haine et à la jalousie des personnages les plus considérables de la nation, Français par une fiction et non par leur naissance, ses frères et lui devaient chercher au dehors un secours puissant contre l’intérieur du pays, où ils étaient moins établis que campés. Par l’affinité des opinions religieuses comme par la tradition de la maison de Lorraine, toujours attachée à la maison d’Autriche, les Guise ne pouvaient trouver cet appui qu’en Espagne ; ils adhérèrent avec passion à cette politique, et désormais ils en firent la base invariable de leurs desseins. Sans doute, l’alliance espagnole imprimait à leur ambition une impulsion, un élan dont elle avait manqué jusqu’alors ; mais, en s’inféodant à une puissance étrangère, ils se suscitèrent dans l’avenir des obstacles qui devaient les entraver dans leur marche, et que, malgré tous leurs efforts, ils ne parvinrent pas à surmonter. Dans des vues particulières, étrangères à la politique française et même absolument opposées à celle de François Ier et d’Henri II, ils se dévouèrent à cette alliance de la maison d’Autriche, qui, à toutes époques, au XVIIIe siècle comme au XVIe, est demeurée inséparable des malheurs et de l’abaissement de la France. Ainsi leur avènement au pouvoir fut marqué par l’abandon des intérêts vraiment français, ce qui était inévitable dès qu’ils songeaient à quelque chose de plus que la seconde place. Dans cette hypothèse, ils ne pouvaient se passer du roi d’Espagne. Pour détrôner le roi de France, ils avaient besoin de s’appuyer sur le plus puissant de ses rivaux. Aussi subordonnèrent-ils tout à cette considération principale.

Au dedans, les fautes des nouveaux maîtres du royaume furent encore