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les positions militaires dans lesquelles les Autrichiens s’étendent de plus en plus au nord de l’Allemagne se prêteraient à merveille au développement de leurs lignes de douane. La Prusse, ne se dissimule pas l’avantage que cette occupation assure à sa rivale. La Prusse ressent avec l’amertume d’une jalousie mal contenue l’infériorité où la rejettent les soudaines splendeurs qui entourent le trône des Habsbourg. Pendant que l’armée prussienne a été contrainte d’évacuer le grand-duché de Bade et l’électorat de Cassel, d’abandonner des postes que le gouvernement lui-même déclarait indispensables aux communications des deux parties divisées de la monarchie, l’Allemagne voit un spectacle qu’elle n’avait pas eu depuis la guerre de trente ans : des corps autrichiens transportés au nord de l’Elbe. La Prusse, pour avoir le droit de garder un pied dans ces territoires qui sont à sa frontière est obligée de s’associer aux mesures d’exécution dirigées par l’Autriche contre ces Holsteinois dont la Prusse avait patroné l’émancipation. Le cabinet et le parti ministériel dévorent ces humiliations trop visibles, et souffrent tout au-dehors dans l’espoir d’être ainsi plus libres de reconstituer à l’intérieur les garanties artificielles de leur faux système de conservation. Les adversaires du gouvernement (et il faut bien dire que le gouvernement a maintenant pour adversaires des hommes comme M. de Schwerin, réélu dernièrement malgré la droite à la présidence de la seconde chambre), les membres de l’opposition, à quelque nuance qu’ils appartiennent, croient de leur devoir de signaler au contraire à la nation prussienne ce fâcheux état de sa fortune. C’est pour cela que M. de Vincke a proposé le 7 de ce mois, dans la seconde chambre, d’ouvrir une enquête « sur la situation faite au pays par l’attitude menaçante des troupes autrichiennes dans le Holstein et dans la Hesse. » Il était malheureusement à prévoir que, si la chambre secondait la démarche de M. de Vincke, ce serait le signal d’une rupture ouverte entre le parlement et le ministère, et, dans l’état actuel des esprits et des choses, ce n’est point le parlement qui pouvait gagner au conflit : soumise à l’examen des bureaux, la proposition de M. de Vincke n’y a point trouvé d’appui.

L’opinion à Berlin est pourtant très frappée, très douloureusement émue de ce voisinage des Autrichiens. Hambourg, Lubeck, Brême, Altona, Rendsbourg, ont reçu leurs garnisons, et ce ne sont pas des Allemands qui tiennent ces places au nom de la confédération germanique : ce sont des régimens italiens, slaves ou hongrois. On dirait que l’Allemagne est conquise par des étrangers. Il y a déjà eu de ces momens de prestige dans les annales de la maison de Habsbourg, et c’est sans doute un spectacle enivrant pour le jeune César d’assister de nouveau à ce grand triomphe militaire. Il appartient seulement aux habiles conseillers qui l’entourent de ne point trop céder à la fascination de cette haute fortune, car à plusieurs fois aussi, dans le passé de l’Autriche, on a vu de terribles revers sortir de la confiance même où l’on avait été plongé par le succès.


Alexandre Thomas



V. de Mars.